Aileen & Payton

Songeur, comme toujours, Payton observait les méandres paresseux de la fumée de sa cigarette monter dans les airs. (Enfin cigarette si l'on veut). Une sensation de paix intérieure venait de s'emparer de lui, quelques minutes plus tôt, alors que la fumée s'insinuait avec rapidité dans la moindre parcelle de ses bronches. C'est purement médicinal, tenta-t-il de se rassurer. Un joint de temps à autre, après tout ça n'a jamais tué personne. Depuis son accident avec cette saloperie de bombe, lors de l'attentat visant à lui ôter la vie, il avait développé une certaine anxiété, une peur de l'autre mais aussi des lieux publics. Tous les moyens sont dans la nature pour combattre les angoisses qui vous ronge. Qu'on se le dise.
Un peu plus tôt dans la semaine, il avait reçu un appel téléphonique émanant de son ex femme, lui annonçant qu'ils étaient convoqués par l'enseignante de leur fille, pour son comportement. Par « ils », Eulalie entendait « Toi ». Aussi l'analyste se demandait à présent pourquoi son ex femme n'y allait pas elle-même, après tout c'est elle qui avait la garde d'Enaëlle à ce moment là. La logique aurait donc voulu qu'elle se rende à ce rendez-vous à sa place. Mais la logique n'a semble-t-il jamais été le point fort de l'ancienne Mme Oak. Ou quand tout devient prétexte à vous pourrir la vie. Vous pourrir la vie, ou vous forcer à sortir de chez vous et à affronter le monde extérieur ? C'est la question que le natif du Montana se posait à ce moment-même, observant toujours les volutes dansantes formées par ce nuage gris à la douce odeur de tabac et de tout autre chose mélangé. Un profond soupir lui échappa. Cet entretien lui demanderait un effort considérable, effort qu'il n'était pas sur de pouvoir fournir. Le motif de la convocation n'étant pas non plus des plus clairs, il s'interrogeait sur le comportement de la petite fille. Qu'avait-elle bien pu faire pour mériter cela ? Du haut de ses neuf ans, elle était tout ce qu'il y a de plus sage et d'éveillé, alors il ne comprenait pas vraiment. Était-ce en étroit lien avec leur divorce ? Peut-être. Un regard à sa montre lui indiqua qu'il était plus que temps de se mettre en route. La conduite n'étant pas vraiment indiquée pour lui - à cause des nombreuses absences et déconnexions dont il était victime depuis ce fameux jour de 2009 - il devrait se contenter des transports en commun.
Éteignant son mégot avant de le jeter à la poubelle, il avala un cachet de prozac puis s'empara ensuite d'un imperméable.
Vu l'heure déjà bien avancée de cette fin d'après-midi, les bus ne devraient pas être trop bondés. Du moins, c'est ce qu'il espérait en attendant à l'arrêt situé non loin de chez lui. La porte de l'autocar s'ouvrit soudainement devant lui, comme un animal à la gueule béante, prêt à l'avaler d'un seul morceau. Avec anxiété il monta les marches et alla s'installer à une place au fond, seul, prenant soin au passage de ne rien toucher avec ses mains. Le trajet le séparant de l'école primaire se passa sans encombres. Ses pas foulèrent ensuite le sol carrelé d'un long couloir, qui le mena jusqu'au lieu de rendez-vous indiqué. Le bureau de Mme ou Mlle Duncan. Alors qu'il toquait à la porte, il retint son souffle, attendant qu'on l'invite à entrer à l'intérieur.

fiche par century sex.

La classe de Aileen Duncan était très dynamique, participative, sérieuse, polie et attachante. Pour la rousse cela représentait un immense plaisir d’enseigner pour ces petits bouts de choux. Elle cherchait des moyens pour attiser leur curiosité et leur envie d’en savoir plus. Elle n’avait pas à se plaindre de la bonne réception des enfants face à ses nombreuses activités. Ils adoraient les idées de leur enseignante originale et très professionnelle. La belle n’avait pas de préférés. Certains autres professeurs marchaient ainsi. Aileen était appréciée par ses pairs. Le métier de l’enseignement de lui était pas venu de suite à l’esprit. A la base, elle désirait être chimiste ou quelque chose dans le genre. Elle était inscrite à la célèbre université de Berkeley. Ses parents avaient de l’argent mais ils n’avaient pas élevé leur deux filles: Trinity et Caitlyn O’Donnelly (Aileen à Détroit). Ce fut leur grand-mère qui leur offrit une éducation convenable. Elle décéda pour le plus grand désarroi d’Aileen. A la fac, elle rencontra Byron. Elle tomba vite amoureuse, ce fut le coup de foudre pour les deux amants. Malheureusement, la rousse fut enceinte bien trop vite. Elle ne désirait pas l’enfant. Face à la violence de son chéri qui voulait garder le bébé, elle s’enfuit. Elle avait pris conscience qu’elle pouvait être mère et donner de l’amour à un être qui n’avait rien demandé et qui avait le droit à un avenir. Elle sacrifia donc le sien. Rester avec Byron relevait du suicide car il ne manquait pas de frapper sa petite-amie, même avec un bébé dans le ventre. Il se révéla qu’il avait toujours été ainsi. Devant Duncan, il faisait le beau mais sa nature l’avait très vite rattrapé. Aileen avait sa vie à Détroit maintenant. Elle ne côtoyait plus personne du passé: elle n’avait pas tout effacé mais elle était passée à autre chose pour sa fille. Lexie avait maintenant dix ans, elle fréquentait l’école de sa mère mais elle n’était pas dans la classe pour plus d’équité. La vie réserve bien des surprises!

Aujourd’hui, Aileen avait rendez-vous avec le papa d’Enaëlle Oak. Cette petite était étrange. Ce n’était pas pour la juger facilement. Elle était très solitaire, une fille à part des autres qui vivait dans son coin. Elle ne parlait pas tellement à la maîtresse comme les autres enfants. Elle évitait même les contacts avec ses camarades. Elle réalisait de drôles de dessins. Sa vision pessimiste prenait le dessus dans ses œuvres. C’était triste. La gamine n’arrivait pas à s’épanouir. Aileen désirait s’entretenir avec la mère de la petite. Les parents de cette dernière était divorcés. Au téléphone, la femme refusa en prétextant que son ex-époux devait prendre ses responsabilités pour une fois et qu’il viendrait. Elle était très directe. Duncan était inquiète pour l’enfant. La génitrice d’Enaëlle avait osé mettre en avant le côté asocial de son Payton: un prénom des plus bizarres au passage. Aileen était prête à voir ce drôle de loustic. Elle n’avait pas encore peur. La journée s’était achevée sur de bons hospices. Duncan se situait dans son bureau quand quelqu’un frappa.


- Entrez. Elle vit un homme s’avança dans la pièce. Elle savait bien de qu’il s’agissait, la rouquine sourit. Monsieur Oak?! Elle lui tendit la main. Enchantée. Nous sommes ici pour parler de votre fille. Aujourd’hui, elle n’est pas venue, vous savez pourquoi? Autant entrer dans le vif du sujet. Enaëlle est une très bonne élève je m’inquiète, elle n’avoua pas encore la raison principale de ses inquiétudes.

Son cœur battait la chamade. Quelle pourrait bien être l'issue de cet entretien? Payton s’inquiétait vraiment pour sa fille. Était-elle rongée par le même mal que lui ? Ce terrain hérité de sa propre mère. Véritable malédiction. Un flot de questions tournoyait dans sa tête, semblable à une danse complètement désynchronisée. La porte s'ouvrit à la volée, une jeune femme rousse l'intima de rentrer. Étrangement, il n'imaginait pas la maîtresse de sa fille comme cela. Sans doute un peu plus vieille et un peu moins jolie aussi. En même temps Enaëlle ne lui parlait pas beaucoup de l'école et étant donné qu'il ne la voyait qu'un week-end sur deux, il était plus ou moins normal qu'il se soit fait une image totalement fausse de l'enseignante de cette dernière. Ce qui recoupait ce à quoi il pensait un peu plus tôt, pourquoi Eulalie n'était-elle pas venue en personne à ce rendez-vous, plutôt que de l'envoyer lui ? Avait-elle eu peur de cette convocation ? Connaissant son ex-femme c'était tout à fait probable.

C'est avec toutes les difficultés du monde qu'il se saisit ensuite de la main que lui présentait la jeune femme. Toucher la main d'une parfaite inconnue, épreuve difficile pour lui. Fort heureusement, il maîtrisait ses émotions et le moindre de ses gestes à la perfection. D'ailleurs il en connaissait un rayon là-dessus. C'est donc d'un air tout à fait impassible qu'il donna une poignée de main à cette femme, alors qu'en réalité il n'avait qu'une envie : s'enfuir en courant pour éviter cela. Ce n'est pas que ce contact le dégoutta, non, ce n'était pas ça. C'est juste qu'il supportait difficilement d'avoir tout contact avec de parfaits étrangers ; peur que cette personne sorte un paquet surprise explosif de son sac... Trouble du comportement. Sourire de mise après les présentations de rigueur. La révélation de la rousse l'intrigua toutefois au plus haut point.

« De même... Je pensais qu'elle était venue à l'école comme tous les jours. Sa mère ne m'a rien dit, je suis navré, mais je n'ai pas d'explication à vous fournir. Eulalie allait l'entendre, non seulement elle se permettait de l'envoyer à sa place, mais ne jugeait même pas utile de le prévenir de l'absence d'Enaëlle aujourd'hui même. Pour quoi était-il en train de passer au juste ? Lui aussi était inquiet, mais il n'en laissa rien paraître, du moins pas pour le moment, il ne voulait pas passer pour ce genre de parent, qui s'en fait pour un rien, dès que son enfant à un pet de travers. Mme Debussy, dit-il d'un ton parfaitement neutre - il n'arrivait plus à l'appeler autrement - m'a juste appelé en début de semaine pour me faire part de la convocation de ce soir, il n'a jamais été question de ne pas l'envoyer à l'école... Est-il courant qu'Enaëlle manque ainsi la classe ? Ma question paraît sans doute étrange, mais je ne l'ai jamais la semaine aussi je ne sais pas du tout ce qu'il se passe lorsqu'elle est avec sa mère... nos rapports sont un peu tendus, si vous voyez ce que je veux dire. »

Il ne cherchait pas à se justifier, il voulait juste expliquer assez succinctement la situation à l'enseignante. Cela pourrait peut-être l'aider à mieux comprendre le comportement de la petite fille.

Le bureau d’Aileen ressemblait réellement à une mine à dessins. En effet, le rousse adorait accrocher les œuvres de ses élèves pour les encourager, les motiver et les remercier pour ces belles productions. La plupart du temps, ils ne la décevaient pas. Les enfants de la classe de Duncan étaient vraiment doués. Elle n’avait pas à se plaindre. Ses méthodes et surtout leur éducation faisaient beaucoup. La belle préférait avoir des petits génies car il était possible d’aller plus loin, les stimuler était un acte facile car ils étaient curieux de tout. La classe de sa collègue était bien plus bordélique. La femme avait des soucis à se faire respecter et à se faire entendre. L’école était réputée donc elle devait faire des efforts sinon elle risquait sa place au sein de l’équipe représentant les enseignants de l’école primaire de Détroit. Aileen l’aidait. Sa collègue et amie passait de temps à autre chez la maman pour parler travail et vie privée. A ce moment là, la rouquine lui donnait des techniques pour acquérir un peu plus d’autorité. Aileen aimait bien ces moments avec Alice car elle après rien ne pouvait les arrêter quand elles se mettaient à évoquer d’autres sujets que la partie « conseils ».

Présentement, Aileen faisait face à Payton Oak, le papa d’Enaëlle: une gamine bien étrange. Une de ses compositions était elle aussi affichée sur le mur du bureau de la rousse. C’était la plus terrifiante. Elle était située au milieu des autres dessins bien plus accueillants, et sympathiques à regarder. A la place des fées ou des châteaux représentés par les petites filles de la classe, l’enfant avait reproduit un tableau sanglant. Deux personnes se tenaient sur le dessin, l’une d’elle était allongée sur le sol, la couleur rouge du sang bien-sûr était la seule visible avec le noir pour le contour des personnages. L’autre bonhomme tenait une arme, apparemment il ou elle avait assassiné l’autre: quel vue étrange! Le dessin était fixé au mur pour choquer Payton. Verrait-il cette composition affolante au milieu de toutes les autres? S’interrogerait-il là-dessus? Oserait-il en parler à Aileen? Reconnaîtra-t-il le dessin de son enfant? Duncan lui en parlerait s’il ne daignait pas le faire. Elle pu comprendre aux dires de l’homme qui rien ne se passait comme il le voulait avec sa femme. Le dessin était significatif! Qui tirait sur qui? Qui serait le vainqueur de ce conflit? En tout, Enaëlle était au centre de ce constat, elle subissait peut-être le divorce de ses géniteurs et leur apparente mésentente. Au téléphone, l’ex épouse de Payton avait été très claire. Oak semblait assurément préoccupé par le cas de sa fille. Était-il trop tard? Aileen se devait de le mettre face à ses responsabilités pour le bien de la petite.

- Alors c’est la première fois que votre fille ne vient pas à l’école. Rassurez-vous c’est une bonne élève, elle est très sérieuse. Elle s’avança non loin des dessins pour attirer l’attention de son interlocuteur sur celui de sa fille. Elle n’en venait pas de suite aux faits. Vous devriez peut-être vous mettre un peu plus au courant de ce qui se passe dans la vie de votre enfant, elle a besoin de vous: une garde partagée ne change rien. Vous êtes son père monsieur. Vous avez votre mot à dire et votre femme ne doit pas entraver vos droits. Je vois ce que vous voulez avancer. Mais Enaëlle est la priorité et non vos conflits avec votre ex-femme. L’homme semblait à côté de la plaque quant à son rôle de parent… . Son absence n’est pas la priorité non plus, j’appellerai madame Debussy pour savoir de quoi il en retourne car c’est quand même inquiétant. Votre fille vit comment votre divorce? Je suis navrée si ma question vous paraît déplacée. Mais j’ai des choses à vous dire quant à son attitude générale.

Étrange impression de se trouver face au bûché, dans l'attente qu'on allume le feu pour brûler la sorcière. Sauf qu'il n'assistait pas à la scène en tant que simple spectateur, mais c'était bel et bien lui qui était sur ce maudit tas de bois, dans l'attente qu'on veuille bien abréger ses souffrances. Le temps qui s'écoula entre le moment où il termina sa phrase et celui où l'enseignante lui répondit, sembla s'étaler à l'infini. Une mine vaguement rassurée s'esquissa alors sur le visage de l'analyste, bien que pour lui sérieux et école buissonnière n'aille pas franchement de paire, mais pourquoi pas après tout, puisque que la rousse affirma que c'était bien la première fois qu'un tel événement se produisait. Cette dernière se leva. Payton l'observa en silence, l'air de rien. Assurément, elle le prenait de haut, montrant ainsi qui menait la danse. Besoin de supériorité maladive Madame ? Ou bien voulez-vous me montrer quelque chose en particulier ? Scrutant son interlocutrice, analysant le moindre de ses mouvements, il fixa alors son regard juste derrière elle. Quelque chose l'intrigua alors, cet étrange dessin, d'une noirceur sans égal comparé aux autres. Est-ce cela qu'elle tenait à lui montrer en cherchant à attirer son attention ? Croisant les mains devant lui, il écouta avec attention la suite des paroles de la jeune femme. D'un ton alors parfaitement neutre, tout en maîtrise il lui répondit :

« Mhh mhh... pour tout vous avouer ce qui se passe lorsqu'elle est avec sa mère ne m'intéresse absolument pas. Je me contente des rares moments que cette garde partagée peut m'offrir... on m'a bien fait comprendre qu'il fallait que je reste à ma place dès à présent. Dans ces conditions assez toxiques, il est difficile pour Enaëlle de ne pas être contaminée. Enfin je ne lance la pierre à personne... Il hocha alors la tête en signe de remerciement, pour l'appel téléphonique que l'enseignante souhaitait passer à son ex-femme. Elle ne comprend pas pourquoi ses deux parents ne vivent plus ensemble, elle pose beaucoup de questions. Parfois j'avoue qu'elle se terre dans un profond mutisme, chose que de mon côté j'essaye de contrecarrer en lui proposant des moments de détente... Analysant toujours le moindre geste, la moindre parole de Miss Duncan il répondit alors avec un sourire mi-figue mi -raison. Cette question était très pertinente. Qu'avez-vous à me dire sur son attitude ? »

Avant qu'elle n'ait eu le temps de répondre, il reporta de nouveau son attention sur le fameux dessin, de plus en plus intrigué par celui-ci. L'enfant à l'origine de cette « œuvre » devait être vraiment perturbé. Une certaine violence transperçait de cette scène loin d'être anodine. Rapidement il voulu en savoir plus sur ce dessin.

« Excusez-moi de vous interrompre, mais le dessin situé juste derrière vous m'a sauté aux yeux tout à l'heure. Une telle violence dans un dessin d'enfant, ce n'est pas franchement banal. Une certaine intuition le poussa alors à demander : Est-ce Enälle qui est à l'origine de cette composition ? »

Payton Oak n’était décidément pas très concerné par l’éducation de sa fille. Son amour pour elle était palpable. Or, le fait de ne pas s’intéresser à tout ce que son enfant pouvait vivre était blasphématoire pour un bon parent. La petite subissait la mésentente de ses parents. Ces derniers ne semblaient pas être des cadeaux. A première vue, Payton paraissait blasé et très méfiant. Aileen ne le connaissait pas. Alors, la professeur et mère de famille ne pouvait pas le juger. L’ex-femme du monsieur lui avait laissé une mauvaise impression au téléphone. Eulalie s’était empressée d’obliger son ex-époux à subir cet entretien. Oak avait l’air d’un enfant puni, l’expression qu’il arborait soulignait son envie d’en finir avec ce rendez-vous malgré le fait que sa fille était au centre de la discussion. Les géniteurs d’Enaëlle n’avaient pas l’air très impliqué pour s’occuper correctement de leur gamine. Cette dernière avait besoin d’eux maintenant, sinon plus tard ils risqueraient de le payer. La petite pourrait devenir marginale, rebelle, incontrôlable. Elle commençait déjà à adopter des comportements de la sorte.

- Je dois vous avouer que vous allez droit dans le mur. Votre fille a besoin de vous maintenant. En tant que pédagogue, je me dois de souligner le fait que vos histoires de couple ne concernent pas Enaëlle. Elle n’a pas à subir vos désaccords avec votre ex-femme, Monsieur. Je ne vous demande pas de mentir devant elle. Mais, faites un effort d’entente avec Madame Debussy car votre enfant souffre. On ne peut lancer la pierre qu’au parent de l’enfant quand un problème persiste. Vous faites son éducation, elle ressent vos désaccords encore une fois. Duncan écouta attentivement Payton. Elle lui faisait face maintenant. Vous faites bien de lui changer les idées. Elle a déjà vu un professionnel? Payton voulait savoir comment sa fille se comportait en dehors de chez lui. Aileen n’eut pas le temps de répondre. Oui? Ce dessin est perturbant je le peux le confirmer. En effet, Enaëlle est à l’origine de cette œuvre d’art. C’est pour cela que je vous ai convoqué. Enfin, pas tout à fait… . Mais je dois dire qu’une visite chez le psy est à prévoir, non pas que votre enfant est un problème psychologique. Mais… elle a besoin de se lâcher de parler. J’essaie de discuter avec elle parfois. Or, je n’obtiens pas de réponses… elle a besoin de l’aide d’un spécialiste pour pouvoir se lâcher en toute sincérité, entièrement… . Je ne minimise pas votre rôle. Ne vous inquiétez pas... .Aileen était gênée par cette solution. Enaëlle était une fille très perturbée, Payton n’en avait assurément pas conscience, et la rouquine ne lui avait pas tout dit: Oak n'était pas au bout de ses surprises.

Toujours assis, Payton faisait au mieux pour suivre la conversation en cours. Le manque de concentration, ou bien des absences soudaines, petit cadeau de son attentat. Pour le moment il arrivait à suivre, mais il pouvait très bien décroché d'un instant à l'autre, sans véritable raison. Une sorte d'effet secondaire qui n'a pourtant pas l'air d'inquiéter les médecins qui le suive. La leçon de vie doublée d'une certaine morale de la part de cette institutrice ne le connaissant ni d'Eve ni d'Adam, eût don de quelque peu l'agacer. Toujours maître de lui-même, il n'en laissa rien paraître. Il choisi donc d'abonder dans son sens, même si leur situation n'était pas aussi simple que cela. Faire un effort d'entente avec Eulalie revenait à peu de choses près à pactiser avec le diable en personne. Pouvait-il lui jeter la pierre, ou bien lui en vouloir pour son comportement ? Assurément, non ! Si l'ex Madame Oak avait demandé le divorce s'était dans l'unique but de protéger Enaëlle, mais elle-même également de ses propres frasques. Bien qu'un peu égoïste, Payton comprenait parfaitement cette raison, sa tentative de suicide avait été la goutte d'eau faisant déborder le vase déjà trop rempli.

« Je vous entend bien Mme Duncan. Nous essayons au maximum de ne pas nous disputer devant elle et de faire comme si de rien n'était, mais elle est loin d'être idiote, elle ressent bien cette tension qui existe entre nous. C'est cela qu'elle a du mal à comprendre et à assimiler... Payton arqua un sourcil alors que Aileen venait de demander si la petite fille avait déjà vu un psy. Non, elle n'en a jamais vu d'autre en dehors de moi, je suis psychologue avant d'être enseignant à l'université. Pour l'instant elle est encore persuadée que tout ce qui nous arrive est de son entière faute. Ce qui est totalement faux... les enfants parfois se mettent de drôle d'idées en tête. Le blond eût la confirmation que l'étrange dessin était bien la griffe de sa progéniture. Vraiment inquiétant. D'un ton toujours posé, il dit : Une fois de plus je vous écoute... le souci reste que si elle n'accepte pas de vous parler alors qu'elle vous connaît plus ou moins, elle risque de totalement se refermer face à un ou une inconnue. Je ne voudrais pas que cela la perturbe davantage. Elle parle beaucoup à sa maman, il en a toujours été ainsi, malheureusement je ne suis pas dans leur petits papiers. Peut-être devriez-vous tout de même la convoquer pour tenter d'en apprendre plus. Il réfléchissait surtout en tant que professionnel, sans en oublier toutefois qu'il s'agissait du cas de sa fille unique. Je profiterais de nos vacances ensemble, pour la faire parler un peu. D'une voix où perçait une pointe d'inquiétude il demanda ensuite. Y a-t-il autre chose à signaler sur son comportement, peut-être envers ses camarades... ? »

Spoiler:

J’ai remarqué que votre fille était très intelligente et très observatrice. Payton était sincère. Vous lui avez expliqué les choses concrètement? Ou vous jouez à l’autruche en sa compagnie? Aileen n’aimait pas l’attitude hautaine de ce psychologue apparemment très mal dans ses baskets. La professeur des écoles laissa échapper un soupir. La nouvelle de l’homme la surprit, Duncan avait presque envie de rire. L’allure de Oak était contradictoire. Sa vie semblait ressemblée à un vrai foutoir. Ironique non? Quel homme prétentieux à se vanter d’une profession bien légère quand on sait qu’il ne faut pas être diplômé pour poser une plaque avec son nom sur un bureau! Heureusement, qu’il précisait avoir une autre job, sinon elle l’aurait trouvé bien bas à évoquer sans vergogne qu’il se trouvait être le vrai seul psy que sa fille aurait en quelque sorte consulté, comme s'il était au dessus de tous. Vous ne pensez pas qu’en voir un autre serait utile? Cette petite a besoin de s’exprimer, avec quelqu’un qui pourra la comprendre. Elle est très perturbée. Je suis d’accord avec vous, Enaëlle a tord de se penser responsable, mais si personne lui explique bien les choses… elle ne pourra jamais avancer. Pendant ce temps, elle reste une enfant très marginale! J’en ai jamais vu de tel. Elle est très solitaire. Je ne sais même pas si elle a des amis, pour vous dire… elle est tout le temps dans son coin, je n’arrive pas à percer sa carapace. La rousse marqua une légère pause. Parler du dessin était indispensable pour appuyer les propos de la jeune femme. Ce n’est pas dit monsieur Oak. Ça vaut le coup d'essayer! Si elle n’y arrive pas, vous pourrez toujours laisser tomber. Apparemment sa mère n’est pas la personne la mieux placée pour parler à sa propre fille tant elle vous dénigre ouverture. Et si elle m’envoie paître? Je ne suis pas l’arbitre dans cette histoire, je pense sincèrement que vous concerter avec Mme Debussy aiderait aussi… . Elle écouta volontiers l’homme qui lui faisait face. C’est déjà ça! Bonne initiative… je ne suis pas ici pour vous juger. Mais pour enchaîner, je dois dire que votre fille est seule, elle ne parle à personne… c’est inquiétant! Les autres enfants ont peur d’elle.

Les différentes remarques et questions de l'institutrice commençaient sérieusement à lui courir sur le haricot. Le prenait-elle pour un demeuré ? Bien sûr que oui, la situation avait été expliquée très clairement à Enaëlle, mais cette dernière, dans son esprit d'enfant, restait persuadée qu'elle était la raison de cette séparation. Idée saugrenue, difficile à faire partir de sa petite tête blonde.« Comme vous le dites si bien, en effet elle est intelligente, la situation lui a donc été exposée de manière à ce qu'elle puisse la comprendre facilement. Nous ne jouons à rien du tout en sa compagnie, cela ne serait pas lui rendre service. Malheureusement elle s'obstine à croire que tout est de sa faute. Et il est impossible de lui ouvrir le crâne pour lui faire penser autre chose. » Voilà qu'il commençait à avoir du mal à contenir ses mots. Il voulait bien reconnaître que parfois – pour ne pas dire souvent, il est vraiment con – mais qu'on le prenne ainsi pour un idiot, ça il ne saurait le supporter plus longtemps. Mme Duncan n'avait pas en face d'elle un de ses élèves – il avait d'ailleurs cette sensation désagréable d'avoir 5 ans et de se faire disputer par ses parents - qu'elle revoit rapidement sa façon de se comporter avec les adultes, cela pourrait un jour lui causer du tord.

Consulter un autre psy, qu'est-ce que cela pourrait bien changer dans le fond ? Certainement rien, hormis que sa fille se braquerait un peu plus. La petite n'en dévoilerait pas plus qu'actuellement. Bien tenté, mais il va falloir trouver une autre idée Madame. Restant toujours poli, parlant toujours sur le même ton, son discours changea quelque peu. Lui jeter la pierre était bien gentil, mais si comme elle le disait si bien, elle avait constaté que Enaëlle était marginale, pourquoi ne pas tenter de son côté de faire quelque chose ?

« Hors de moi de trouver l'idée inutile, mais simplement je connais les réactions de ma fille et je sais pertinemment qu'elle restera muette comme une carpe face à quelqu'un qu'elle ne connaît pas. Le bénéfice risque alors d'être plus que limité. Je n'ai pas dit le contraire, je sais très bien qu'elle n'agit pas comme une petite fille de son âge ou comme une petite fille tout court. Vous pensez vraiment que je suis passé à côté de cela ? Et bien non, je ne suis pas aussi bête que vous avez l'air de le croire. Et puis n'est-ce pas votre rôle que de tenter de la socialiser un peu plus ? Afin qu'elle accepte de se mêler aux autres ? Il marqua une légère pause avant de reprendre. Mme Debussy rejette tout ce qui émane de moi, je ne pense pas que cela puisse vraiment servir la situation. Par contre elle acceptera de vous écouter. Il arqua un sourcil. C'est pourtant l'impression que vous donnez... Peu importe. Enaëlle a toujours été assez solitaire, jusqu'à notre divorce, rien d'alarmant, elle se plaisait à s'isoler pour jouer toute seule... Mais maintenant et bien je pense qu'elle fait cela pour se punir en quelque sorte, on en revient toujours au fait qu'elle reste persuadée que tout est de sa faute. Les autres enfants ont peur d'elle, pourquoi ça ? »

Aileen Duncan sentait que le ton de son interlocuteur devenait plus féroce, une tension augmentait. Ce père irresponsable devait se rendre compte de sa bêtise…sa mésentente avec son ex-femme détruisait l’équilibre de la gamine de neuf ans. La rouquine n’y allait pas de main morte sur ses propos. Or, elle désirait sauver son élève d’une mort sociale. C’était le cas de le dire, son comportement aurait des répercussions plus tard. Elle n’était pas acceptée par les autres. Ils se moquaient d’elle en la surnommant « Esther » au passage. Ses visions de la vie étaient inquiétantes. Ses dessins le traduisaient. Qui savait quels scénarios elle échafauderait à l’avenir? Son goût pour le gore et la violence n’étaient pas très appréciables. Elle courait tout droit vers la marginalisation et encore… . La société ne voulait pas de ces cas à risques. La petite pourrait devenir dangereuse pour les autres ou pour elle-même. Sa professeur essayait de la comprendre, de savoir ce qui n’allait pas, de lui parler, de l’approcher. Mise à part rendre de bons devoirs, la petite ne se mélangeait pas à la classe dans leurs débats avec Aileen. Les enfants partageaient leurs découvertes, leurs passions avec ’Leen mais pas Enaëlle.

- Je vais faire simple. Elle subit le rejet de ses camarades. Elle court tout droit vers une forme de marginalisation. Je tente de l’aider mais elle m’ignore. Je parle aux responsables de son éducation donc veuillez écouter les désirs de votre fille, vous pouvez faire quelque chose. Vous cherchez des responsables mais le responsable c’est vous. Je lui apprends les connaissances théoriques, je lutte pour la faire accepter mais rien… elle n’en fait qu’à sa tête et elle me rend des travaux tels que ce dessin. Dès que le sujet est libre, elle trouve le moyen de crier au secours avec ce genre de manifestation. Vous n’y semblez pas si sensible. Le problème se situe dans son environnement. Elle marrqua une légère pause. Oublions les psys, comme vous le faites remarquer: ils ne sont pas toujours d’une grande utilité, ni les pédagogues comme moi d’ailleurs. Seuls ses parents donc vous et votre ex-femme êtes à même de réagir. Elle vous écoutera. Faites un effort, si c’était déjà fait: j’ai remarqué que sa situation empirait alors… je vous demande juste de vous préoccuper que d’elle, pas de vos soucis d’ancien couple. Les dires de Payton lui passait par-dessus l’épaule. Elle faisait son travail alors franchement rien de ce qu’il pouvait dire ne l’atteignait. Elle aurait pu rendre l’entretien plus sympa mais cette homme l’exaspéré: il était à côté de la plaque. Soudain, Oak fit preuve de logique et d’audace. Bonne idée, je parlerai à votre femme également sans vraiment intervenir dans vos problèmes. Vous avez raison, Enaëlle se punit elle-même. Vous lui parlez des fois? Son obstination est due à quoi?

Quel brin de femme totalement énervante. A croire qu'elle faisait exprès de déformer ses paroles et de le prendre de haut. Répéter les mêmes choses en boucle afin qu'il comprenne bien, comme s'il était à moitié attardé. Payton avait l'impression de rêver. Les mots employés par l'institutrice était peut-être un peu forts. A l'âge d'Enaëlle, comment pouvait-elle déterminer ce qui ferait ou non son futur ? Comment pouvait-elle affirmer avec autant de certitude qu'elle serait en marge de la société ? Il est bien connu que les enfants ne sont guère tendres entre eux, un jour elle se réveillerait et prendrait conscience que le regard des autres importe peu. Comprendre les rouages de ses petits camarades pour ensuite mieux pouvoir se servir d'eux. Celle qui apparaissait comme autrefois étrange serait alors adulée de tous. C'est comme cela que ça marche, ni plus ni moins. D'accord elle devait sans doute un peu – si ce n'est beaucoup – tenir de lui et donc être on ne peut plus sur ses gardes en présence de personnes plus ou moins inconnues. Durant un instant il s'en voulu de son propre comportement, mais son passé l'avait forgé, difficile d'aller à l'encontre de cette peur panique provoquée par autrui.

« Je ne cherche pas de responsable Mme Duncan, ne déformez pas mes paroles. Nous pouvons tous faire quelque chose. Elle est assez têtue, lorsqu'elle a décidé quelque chose il est assez difficile de la faire changer de direction. Qu'insinuez-vous par je n'y semble pas si sensible ? Vous pensez vraiment que je n'en ai rien à faire de ma fille ? Vous vous fourvoyez totalement Madame. Il arqua un sourcil alors qu'elle venait de retourner sa veste à la vitesse de l'éclair. Les psy inutiles, bon soit pourquoi pas... dans ce cas pourquoi proposer cette solution si celle-ci ne lui semblait pas être aussi bonne que cela ? Les femmes parfois... Nouvelle sensation plus que désagréable de se retrouver face à un véritable tribunal. Soucieux de ne pas se mettre l'enseignante à dos, il fît un effort surhumain pour ne pas la sommer d'un pic acide. Alors il se contenta de hocher la tête. Elle le prenait déjà pour un idiot, autant faire comme si c'était vraiment le cas. D'un ton à nouveau neutre, il reprit ensuite la parole. D'accord, je vous en remercie. Oui je lui parle souvent, aussi souvent que la garde alternée me le permet, je l'appelle souvent également. Devoir se justifier de la sorte était plutôt détestable. Je pense qu'elle a dû surprendre une de nos conversations avant notre séparation, elle a sans doute mal interprétée ce qu'elle a entendu et pense maintenant que tout est de sa faute. Sauf que pour tout vous avouer tout vient uniquement de moi... mais je ne peux clairement pas lui expliquer pourquoi sa mère et moi en sommes arrivés où nous en sommes. Je ne sais pas si elle serait à même de comprendre. Maintenant qu'il était lancé, autant aller jusqu'au bout et jouer carte sur table avec elle. Je ne peux pas avouer comme ça à ma fille que j'ai fais une tentative de suicide, et que c'est sa mère qui m'a retrouvé à moitié inconscient... si elle a voulu le divorce c'est uniquement pour éviter une seconde fois ce genre de situation, dans le but de se protéger toutes les deux... Non, je ne peux clairement pas lui dire ce genre de choses. A 9 ans on est pas armé pour faire face à ce genre d'explication. »

Tout naturellement il avait prononcé ses dernières phrases, comme si cela était tout à fait banal de parler de cette tentative ratée, comme si cela n'était pas si grave que ça dans le fond. Dédramatiser la situation au possible afin de lui conférer un caractère tout autre. La rouquine empreinte de tout un tas de jugement sur sa personne allait se faire un malin plaisir d'en apporter un autre, à la liste sans doute déjà bien longue. Comme pour signaler qu'il savait pertinemment ce qu'elle pouvait bien penser, il ajouta juste : « Ne me jugez pas s'il vous plaît. »

L’entente n’était pas de mise entre Payton Oak et Aileen Duncan. Une tension émanait. Pourquoi? La professeur des écoles avait l’impression de raisonner avec un sourd. Ses paroles n’étaient pas nouvelles. Cet homme paraissait si passif. Le psychologue avait le pouvoir de modifier la pensée de sa fille. Son enfant possédait seulement neuf années d’existence sur terre. Son avis restait maniable, tout comme l’esprit pouvait être influençable à cet âge. Payton semblait la considérer comme une grande personne. Le problème se situait peut-être là. Aileen se trompait peut-être également. Le dialogue n’avançait pas vraiment.

- Excusez-moi, je ne voulais pas vous accuser de tous les mots. Juste que votre fille a besoin de vous. Elle marqua une légère pause. Votre enfant a neuf ans. Son esprit reste maniable. Elle est assez intelligente pour comprendre les choses. En lui répétant plusieurs fois, elle intégrera peut-être mieux la vérité. Je suis navrée car je pense que ce sujet ne doit pas facile à aborder. La rouquine prenait des pincettes avec son interlocuteur pour éviter de mettre le feu aux poudres encore une fois. Elle sourit légèrement. Parler avec Eulalie du cas d’Enaëlle ne l’enchantait pas réellement. Cette femme n’avait pas un caractère facile. Duncan l’avait eu au téléphone. C’était même elle qui avait décidé que son ex-mari devait passer. D’accord… . Elle a des amis de son âge par chez vous? Elle écouta la suite attentivement. Les enfants et leur imagination… . J’ai une fille de dix ans, vous savez je peux comprendre ce que vous vivez… . La belle révéla un détail de sa vie. Avait-elle raison? Les paroles de Oak restait vague et pas très compréhensible. Il en vint très vite au vif du sujet. Aileen fut surprise et navrée par son comportement envers ce psychologue. Oh… vraiment désolé. Si j’avais su… . Je peux juste avancer que tout n’est pas faute, c’est dommage que votre femme n’est pas su vous aider. Vous abandonner n’était pas la solution. Enfin… votre fille n’est pas assez grande pour entrevoir la raison, c’est certain, ce n’est pas évident. Je suis d’accord avec vous. La femme ne savait que dire de plus. Je verrai votre ex-épouse monsieur Oak.

Qu'est-ce qu'il fichait ici? Il n'était pas venu ici pour se faire remonter les bretelles, et encore moins se faire juger par une parfaite inconnue. Véritable dialogue de sourds, comme il n'en avait plus entendu depuis longtemps. Cette conversation hermétique ne faisait en rien avancer les choses, et ne servait à rien, si ce n'est énerver un peu plus les deux protagonistes. Comment faire bouger les choses dans un sens ou dans l'autre ? En se levant et en prenant lâchement la fuite ? Non, ce ne serait pas correct et cela le discréditerait d'autant plus aux yeux de l'institutrice. Que faire alors... Se contenter de rester assis bien sagement, tout en feintant de boire les paroles de la rouquine. Rien de bien compliqué, pour quelqu'un connaissant toutes les affres du comportement humain. Comme l'affirmait elle-même la jeune femme, le sujet n'était en rien facile à aborder, bien au contraire. Comment faire comprendre à sa propre fille que l'on a été si désespéré à un moment de sa vie, que l'on a eu d'autres choix que de tenter le pire ? Enaëlle était déjà assez perturbée comme cela, inutile d'en rajouter une couche. Elle aurait été capable de penser que cet acte égoïste était de son entière faute. Les enfants franchement... Payton ne trouva rien à répondre à la première partie du discours de Aileen. Il se contenta de l'écouter, ni plus ni moins. Ce qui suivi la laissa sans voix, à son tour. Malaise palpable dans le bureau. Gêne peut-être, mais il ne détacha pas son regard de celui de Aileen. Sans doute une provocation de sa part.

« Vous ne pouviez pas savoir, parce que ce n'est pas le genre de chose que l'on crie sur les toits. Il haussa les épaules, comme pour dédramatiser la situation. Geste visant à montrer que dans le fond ce n'était rien, peut-être voulait-il aussi montrer qu'il n'avait eu que ce qu'il méritait après tout. Personne ne pouvait m'aider de toute manière... Il y a des choses qui font que, lorsqu'on est au fond du gouffre, rien ni personne n'est suffisant pour vous relever... Pour en revenir à votre question, Enaëlle a quelques amis de son âge, mais une poignée seulement. Ce n'est pas franchement une bonne idée d'aborder un tel sujet avec une enfant. Elle ne comprendrait pas. C'est un peu comme si nous avions le derrière entre deux chaises, si vous voyez ce que je veux dire. L'analyste osa alors demander de but en blanc. Vous comprenez ce que je vis, parce que vous êtes aussi séparée de votre conjoint ? Regard interrogatif, sondant le moindre geste – même le plus imperceptible - de la jeune femme. Cette question était peut-être un peu déplacée, mais après tout, ils n'étaient plus vraiment à ça prêt, après une telle révélation de sa part. Vous pensez que le regard qu'elle me porte changera lorsqu'elle sera en âge de comprendre ? »

Une simple question et pourtant une phrase tellement douloureuse, tellement lourde de sens. A présent il prenait conscience de ce que son geste représentait. Il se maudit pour cela. Égoïsme à profusion.

La tension avait du mal à redescendre entre ces deux protagonistes qui faisaient preuve d’impatience. Je n’en doute pas monsieur Oak. Je n’aurai pas cru qu’un homme comme vous, qui à première vue paraît bien équilibré, ait osé une chute si radicale dans sa propre vie. La belle partageait sa réflexion à haute voix. Enfin… qui sait ce qui se passe dans la tête des gens? Personne… . Navrée. Madame Debussy ne vous aide pas je pense, enfin… je ne vais pas me lancer dans ce genre de conversation. La rousse écouta ce père de famille attentivement. Elle essaya d’imaginer ce qui pouvait passer par la tête de l’homme au moment de tenter d’en finir. Tout devait repasser en boucle: les souvenirs surtout. Il fallait avoir autant de courage que de culot pour faire cela alors qu’une famille attendait ce psychologue chaque soir pour dîner comme toutes familles dites « normales ». Quel égoïsme dans le fond! Les Oak avaient l’air heureux par le passé, Aileen le voyait ainsi, c'était l'image qu'elle se faisait de cette famille. Or, juger le passé n’était pas son objectif. Alors, elle se tut un moment pour analyser la situation. Une poignée d’amis présents pour Enaëlle, cela peut aider, elle aime les voir? Elle leur rend visite de temps à autre? Le cas de la petite l’intéressait réellement. Il fallait qu’elle s’épanouisse pour mieux se sociabiliser et avancer dans la vie! A peu de choses près, elle ressemblait à Lexie, la fille de dix appartenant à l’interlocutrice de Payton. Lexie vivait mal l’absence d’un père. Elle compensait par le travail, surdouée: elle n’avait pas beaucoup d’amis. Aussi, ses camarades étaient souvent jaloux de la complicité entre Lexie et sa mère, la petite l’avait confié à sa génitrice il y avait peu de temps. C’était plutôt flatteur! Or, l’écolière en pâtissait, plutôt ses relations sociales. Aileen acquiesça aux paroles de Payton. Oui c’est-ce que nous disons depuis tout à l’heure, Enaëlle n’est franchement pas en mesure de comprendre. Oui oui, je vois. La jeune femme connaissait par cœur le sens du terme « cacher ». Elle ne parlait jamais à sa fille de l’identité de son vrai père… pour la préserver tout simplement. Aussi, elle ne voulait plus en entendre parler. Soudain, l’homme en vint aux questions personnelles. Ce n’est pas le sujet mais oui, j’élève ma fille seule. Elle soupira pour réfléchir. Les interrogations de Oak étaient de plus ne plus poussées. Je ne sais pas. Je pense juste qu’elle comprendra avec l’âge car en grandissant on vit bien des déboires dans notre vie donc on devient apte à comprendre ces choses inadmissibles. Je ne le souhaite pas d’avoir une triste vie plus tard. Mais je suis certaine qu’elle comprendra… elle doit tenir de vous au final. Elle sourit.

Électricité toujours bien palpable dans le petit bureau de l'enseignante de Enaëlle. Celle-ci ne semblait pas vouloir redescendre, sans doute était-ce dû aux deux caractères assez emportés des interlocuteurs présents dans la pièce. Ne pas réussir à tomber d'accord sur un avis, camper sur ses positions, ne pas vraiment écouter l'autre, voilà où est-ce qu'ils en étaient en ce moment même. Tout du moins, avant que Payton ne fasse une révélation, qui laissa plus ou moins sans voix l'institutrice. Oser révéler la véritable raison qui avait poussé l'ancien couple au divorce, voilà qui semblait changer la donne. Compassion ou peut-être pitié, l'analyste eût du mal à identifier clairement l'expression de Aileen.

« Personne n'est à l'abri, un beau jour, de se retrouver au bord du gouffre, avec pour unique solution l'impensable. J'ai toujours lutté, j'ai toujours fait face et pourtant certains événements ont fini par avoir raison de moi. C'est peut-être un acte égoïste, vraiment égoïste même, il marqua une légère pause... mais parfois même penser à vos enfants ou bien à votre famille, n'est pas suffisant pour lutter contre la mort. J'avoue que ce geste a été le dernier recours de ma vie pour échapper à l'insupportable... Elle n'a pas souhaité m'aider, parce qu'elle a eu vraiment peur, en un sens je la comprend. » Il repensa alors à ce fameux soir, ou plus aucune alternative ne s'offrait à lui que la mort, ni plus ni moins. Mort, qui elle-même n'avait pas voulu de lui. Visions incessantes du corps du jeune Aidan Reiter sans vie, images également de l'attentat ayant enlevé la vie à son équipier. Pour lui, plus n'avait vraiment de sens à ce moment-là. Ils avaient passés tellement de temps sur cette éprouvante affaire Reiter, qu'en bout de course, il avait eu l'impression d'être lui-même mort à la place du gosse. Le visage totalement déconfit de la mère de l'adolescent, à l'annonce de la trouvaille du corps de Aidan le hantait encore. Brusquement, il revint à lui. De quoi Aileen était-elle en train de parler ? Il ne savait pas vraiment. Il réussi plus ou moins à comprendre qu'elle parlait des amis de Enaëlle. « Elle leur rend visite de temps en temps, mais c'est plutôt rare. »

La phrase prononcée par l'enseignante le hérissa d'autant plus. Encore une fois, elle lui fit sentir qu'il n'était qu'un moins que rien, un demeuré et un sombre crétin. Il se contenta une fois de plus de hocher la tête, se complaisant toujours dans ce rôle qu'elle venait de lui attribuer sans vraiment prendre la peine de l'écouter. Avec beaucoup d'attention, il écouta ce qu'elle avait à dire, conscient toutefois qu'il avait franchi une certaine limite en posant une question un peu trop personnelle. Il ne trouva rien d'autre à ajouter que : « C'était déplacé de ma part, je vous demande pardon ». Un silence pesant s'installa à la fin de la conversation. Avait-elle autre chose à dire à présent, ou pouvait-il disposer ?

Les avis divergeaient, pas tout le temps heureusement. Payton était-il trop faible pour lutter? Le vécu faisait beaucoup. Pourquoi vouloir mettre fin à ses jours? Intention Ô combien égoïste quand on possède une famille! Aileen tiquait sur ce fait. Pour le psychologue, les proches n’avaient plus l’air de jouer un rôle à un moment donné quand la solution de la mort restait à envisager. La rousse s’enfermait dans une vie qu’elle n’aimait pas pour assurer un bon avenir à sa fille, le but étant qu’elle ne tourne pas mal. Combien de fois avait-elle pensé en finir? Lors de son passé commun avec Byron Malray. Avant le jour de son accouchement. Après la suicide de son ami: à côté d’elle, il s’était jeté sur les rails accessibles du métro qui vint le découper en mille morceaux. Quand l’envie de boire était trop forte suite à un blues indéniable qui lui donnait cette envie de partir. Or, sa fille était le seul lien qui lui restait pour être connectée au monde des vivants. Elle survivait pour cette gamine qui méritait de vivre sereinement. Elle n’était pas venue au monde pour rien, elle résultait d’un amour entre deux jeunes gens. Même s’il n’était plus de mise, Lexie ne devait pas payer les pots cassés. Où finirait-elle autrement? Les Duncan étaient bien seules. Le problème ne se situait pas à cet endroit, Aileen pensait sincèrement qu’un enfant pouvait devenir une raison de vivre, de survivre, d’apprécier la vie. Ce genre d’être innocent ne méritait pas de perdre un parent par pure raison personnelle. Comment le vivrait-il? La porte des dérapages était à côté… . Dialogue de sourd. Aileen acquiesça aux paroles de cet inconnu. Elle avait connu mieux comme entretien! La résultante sonnait tristement. Je comprends bien. Etre présente sans trop en faire. La rousse écoutait mais elle n’entendait pas les paroles de l’homme dans le sens où elle n’était pas d’accord, elle se contentait de bêtement écouter car son interlocuteur avait effectué la gentille et dure démarche de se confier. Il faut la sociabiliser d’autant plus. Faites la sortir, rencontrer des enfants de son âge, vous allez au parc avec elle? C’était l’endroit idéal selon la mère de famille! Elle aimait passer du temps dans ce genre de lieux avec sa fille pour qu’elle s’amuse et afin qu’elle comprenne qu’elle n’a que dix ans. Lexie était très mature et réfléchie pour son âge. Elle faisait plus vielle mentalement. Soudain, les excuses de Payton résonnèrent dans la pièce. Je vous en prie. Rien de grave! Elle sourit légèrement pour apaiser son interlocuteur. Je vais donc voir votre femme pour connaître son avis sur la question. J’aviserai à l’école. Faites de même de votre côté. Rien d’autre à me dire? Sinon je vous dis au revoir Monsieur Oak. Elle s’avança vers la porte d’entrée en l’attente d’une dernière réponse ou d’une suite de conversation.

Spoiler:

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