Saoirse sortait de la bibliothèque. En dépit de ses ennuis avec certains enseignements, la jeune femme poursuivait tranquillement sa thèse comme prévu. Il en fallait beaucoup pour la perturber et ces derniers pourraient toujours ramer pour y parvenir. Il faisait maintenant presque nuit. Elle rentra rapidement à la villa où vivaient les futurs parents de son bébé. Ils ne pouvaient pas officiellement la payer du fait de la législature mais lui rendaient tout de même pas mal de services en contre-partie. Elle salua rapidement la future mère qui semblait heureuse de la voir. Comme si elle allait s'enfuir avec le gosse ! Faut pas abuser ! Elle en avait gardé aucun, il y avait peu de chances que ça change. Elle aimait être enceinte mais elle ne voulait pas être mère.
Elle se montra dans tous les cas particulièrement clémente, ce qui s'accentua lorsqu'elle reçut en liquide sa part du mois. Saoirse avait insisté pour recevoir le moins possible préférant d'autres avantages mais le couple avait été tellement heureux de trouver quelqu'un qui acceptait de porter leur enfant en dépit de la loi qu'ils avaient insisté. Elle ne refusa pas l'argent mais n'aimait pas être riche. Tant qu'elle pouvait vivre décemment cela lui suffisait, cela ne l'empêchait pas bien sur de se montrer rude en affaires. Le business est le business comme on dit.
Pour l'heure, elle avait en tout cas envie de se changer les idées. Elle rentra donc dans l'appartement que le couple lui prêtait et alla se changer. Elle avait envie de sortir. Pour certains, le faire avec sa grossesse était inconsidéré mais elle connaissait les règles et savait les respecter. Pour le reste, elle n'avait jamais arrêté de vivre et elle n'allait pas commencer maintenant. Sans véritable direction, elle partir finalement vers The Cocktail. L'endroit était bondé comme c'était souvent le cas dans les bars à cette heure-là. Elle était restée plus longtemps que prévu chez le couple et la nuit était là depuis longtemps. Elle commanda un San Pellegrino avant de s'installer au bar. Les potentiels dragueurs verraient ainsi mieux ses formes et passeraient leur chemin. Elle avait envie de s'amuser mais pas de ramener quelqu'un. Trop encombrant ! Elle jeta un coup d'oeil rapide à la foule. Il y avait de tout. Elle aperçut même quelques étudiants de l'université mais n'en fréquentait pas vraiment pour aller leur faire la conversation. Une silhouette pourtant retint son attention à une table.
Saoirse avait toujours été plus ou moins physionomiste et elle oubliait rarement quelqu'un. Un talent utile dans le métier où certains changeaient parfois de visages. Elle prit sa bouteille à la main et se dirigea vers elle. La foule voyant son ventre se poussa aisément. C'était plaisant !

- J'espère ne pas te déranger, ma chère !

Récemment, Joan avait fait beaucoup d'efforts pour s'insérer dans la société. Elle ne savait pas vraiment pourquoi elle avait ce besoin mais après dix ans passé à arpenter les routes à perpétrer des meurtres, elle avait envie de se poser. Detroit semblait une ville bien vivante et Kellers voulait absolument découvrir toutes les possibilités de distractions qui s'offraient à elle. Elle avait besoin d'oublier, de changer et ce, dès aujourd'hui. Elle avait déjà fait un tour dans la boite de la ville mais pas le bar, elle décida donc de s'apprêter avec ses plus beaux habits tout en restant dans le discret. Elle se sentait encore surveillée, signe de son ancienne vie qui continuait de la harceler aujourd'hui.
Mais, pour Joan, plus rien ne pourrait l'effrayer. Elle était devenue blasée de tout ce qu'elle avait vu et fait. Plus personne ne pourrait l'atteindre, elle n'avait jamais connu les joies et malheurs de l'amour. Elle avait perdu tous ses amis à la suite de son incident et ne se voyait pas aujourd'hui heureuse. Elle avait tout bonnement abandonné l'idée. Se détruire d'un autre côté semblait être sa porte de sortie. Elle restait toutefois bien effrayée de l'alcool après sa mésaventure mais elle voulait guérir de ce mal.
Quoiqu'il en soit, elle se dirigea vers le bar et lorsqu'elle fut à destination, commanda un bon cocktail. Elle alla s'asseoir tranquillement une table et débuta son jeu favori: observer tous les gens s'amuser, s'aimer, se draguer en tentant de comprendre comme eux faisaient pour agir de la sorte. Elle ne comprendrait certainement jamais mais elle aimerait pouvoir changer et devenir plus insouciante comme tous ces jeunes qui se déhanchaient présentement.
Elle vit alors une femme se diriger vers elle, d'un pas assuré. Joan ouvrit grand ses yeux pour tenter de voir si l'alcool ne lui jouait pas des tours. Elle reconnaissait cette femme, elle était persuadée de l'avoir connu dans son ancienne vie et cela effrayait un peu Kellers. Elle arriva devant elle, la jeune tueuse plissa les yeux puis cela lui revint...

Saoirse! Cela, c'est une surprise..

Saoirse affichait un grand sourire. Il était rare de croiser des gens du milieu dans les parages, dans le monde réel comme elle aimait l'appeler. En général, elle s'en réjouissait assez. Croiser un de ses tordus comme avait généralement peu d'intentions sympathiques pour vouloir de sa marchandise lui faisait un peu froid dans le dos. Elle aimait séparer les deux mondes. Sa vie d'étudiante, sa vie de femme enceinte et sa vie de trafiquante. Tant que ces vies étaient séparés, tout allait pour le mieux. Ce soir-là pourtant, ce mélange ne la dérangea pas. La situation était particulièrement, il faut dire. Ce qu'elle avait pu percevoir chez Joan Kellers était différent de la plupart de ses clients. Elle n'avait pas peur d'elle comme des autres. Elle avait l'intime conviction qu'elle ne lui ferait rien. Ce qui n'était pas toujours le cas. Lors de leur rencontre, elles s'étaient plutôt bien entendues d'ailleurs. En dépit de l'enjeu et de la raison qui avait poussé Joan a acheté un de ses petits jouets, elle avait réussi à établir un bon contact. Et même si elles se voyaient relativement, l'entente était là. Il y avait quelques temps qu'elles ne s'étaient pas vus. Plusieurs mois au moins. Saoirse avait espéré que tout ce soit passé comme prévu. La voir la rassurait en partie.

Une main sur son ventre pour éviter de se prendre la table, Saoirse s'assit en face de la jeune femme, en posant son verre devant elle.

- Comment vas-tu Joan ?

Elle l'observait avec cet air qu'elle adoptait en général avec sa clientèle, en raison du lien qu'elle avait avec eux. Elle savait tout et pourrait tous les balancer si elle le voulait. Ce qu'elle ne ferait jamais. Quel intérêt ? Ca lui vaudrait la prison avec ça. Elle hésita puis se pencha plus en avant pour parler d'une voix chuchotante.

- Tu as réussi ?

Elle ne s'entendait pas une réponse précise mais elle savait que l'attitude de Joan l'aiderait à savoir. Ca n'était pas de la curiosité malsaine, plutôt une manière de s'intéresser à sa situation.

Joan ne s'attendait vraiment pas à croiser une vieille connaissance à Detroit. C'était la méfiance qui prima puis après cet élan d'amitié pour Saoirse. Cette femme était assez surprenante et forte. Elles s'étaient rencontrées de nombreuses fois pour affaires et on pouvait dire qu'elle savait y faire, c'était une personne très professionnelle en somme. Joan constata rapidement évidemment qu'elle était de nouveau enceinte, rien de surprenant en soi quand on savait ses petits secrets.
Toutes les deux avaient un accord tacite en quelque sorte. Elles savaient presque tout ce qu'il fallait savoir sur l'autre mais elle n'en parlerait jamais. C'était ainsi que leur relation fonctionnait: bon nombre de personnes trouveraient cela étranges mais elles avaient vécu toutes deux dans un milieu bizarre qui ne leur permettaient pas d'avoir une amitié normale.
Saoirse lui demanda comment elle allait alors que Joan lui faisait une petite place sur la banquette. Question certainement bête, Joan n'irait probablement jamais bien, sa vie l'ayant plus ou moins transformé en ce qu'elle n'avait jamais été mais elle s'en accommodait désormais. Elle étala un sourire sur son visage alors qu'elle regarde brièvement le ventre de sa comparse pour deviner pour quand était l'évènement.

On peut dire que ça va oui.. Mais dis donc, encore un? Dans combien de temps?

Joan n'en dit pas plus. On ne sait jamais s'il y avait des oreilles indiscrètes. Bien évidemment dans un endroit de ce type, c'était fort peu probable mais les deux femmes avaient appris la prudence avec leur vie respective.
Un léger silence avant que Sao' ne lui demande implicitement si sa mission avait rendu quelque chose. Le regard de Joan se transforma en un bonheur sadique, elle avait gagné. Elle n'était pas forcément soulagée mais elle savait que plus personne n'oserait lui faire du mal. Elle était plus forte que tous ces idiots d'hommes et c'était la seule joie que cette vengeance lui avait procuré. Elle détourna le regard vers Saoirse avant de répondre.

Une véritable réussite... je me range plus ou moins désormais. Toi, je suppose que les affaires marchent...

Sa bouteille à la main, Saoirse continuait d'observer son amie. Certes, elles n'étaient pas des amies au sens conventionnel du terme mais quel autre employer ? Si l'on devait se fier à cela, on aurait pu dire que Saoirse n'avait pas d'amis mais elle ne le voyait pas comme ça. Sa vie ne lui permettait pas les rapports normaux. Son enfance, ses activités, ses secrets, c'était trop pour une relation normale. Elle ne pouvait fréquenter sincèrement que des individus de son monde, avec eux aussi leurs secrets et leurs rapports particuliers. Ceux qui se prétendaient alors son ami hors de cette sphère se mentaient à eux-même.
En raison du lieu, la conversation se faisait à demi-couvert. Rien de véritablement clair n'en filtrait mais c'était une habitude de la maison alors elle n'en fut en rien perturbée.

- Et oui que veux-tu ! J'adore ça ! Encore cinq mois. Et après on verra.

Oui on verra. Trouver ce premier couple avait été difficile surtout après son séjour en Alaska mais au moins elle finit par trouver son bonheur. Aurait-elle une seconde chance ? Ca n'était pas certain. Mais elle avait le temps d'y penser. Sept mois pour chercher, serait suffisamment, elle l'espérait.
Elle se réjouit intérieurement en entendant la réponse de Joan. Un bâtard en moins c'était une bonne chose. Elle était contente qu'elle ait réussi.Ca ne faisait pas tout mais c'était mieux que rien. Le début d'autre chose en tout cas. Elle fit la moue en l'entendant dire qu'elle se rangeait avant de sourire. C'était mieux ainsi.

- Tu m'en voies ravie. Ah les affaires ,toujours. Tu verrais les dernières. Je suis plutôt satisfaite de moi sur ce coup-là. On verra ce que ça donne. L’Alaska a failli me couter cher mais je suis assez confiante. Mais dis-moi dans quoi tu t'es lancée ?

Que pourrait donc bien imaginer quelqu'un qui écouterait leur conversation ? Pas grand chose sans doute. Surement des histoires ordinaires. Certainement pas la conversation entre une ex-tueuse à gages et son ancienne fournisseur.

Cette conversation ramenait Joan quelques mois en arrière, beaucoup de choses avaient changé depuis. Elle avait réalisé son rêve: se venger. Désormais, c'était le vide, sa vie était bien ennuyeuse et il fallait avouer que l'adrénaline lui manquait. Joan était une femme d'action et côtoyer Saoirse aujourd'hui lui rappelait cela. Cette femme était une dure à cuire comme elle et ils avaient vécu de sacrés moments ensemble même si on ne le sentait pas dans ce bar, étant toutes les deux des professionnelles des secrets.
Joan souriait timidement à son ancienne collègue. Désormais, elle tentait de reprendre une vie normale, cela ne semblait pas être le cas de Saoirse qui avait enclenché une nouvelle grossesse. En y pensant, Joan se demandait jusqu'où elle allait s'arrêter. Elle tourna son regard vers la jeune femme.

Je me demande bien quand ce sera ton dernier... Enfin, je suis sûr que cela doit être super toutes ces grossesses!

Joan n'avait jamais envisagé d'être autre chose qu'une femme solitaire, tueuse à ces heures perdues. Être mère était loin d'être dans ses plans et ne serait-ce que l'idée l'effrayait. Sao en faisait un petit commerce et Kellers pensait qu'elle avait vraiment beaucoup de courage de subir tout cela pour un peu plus d'argent à la fin du mois.
Sans surprise, Saoirse lui confiait sa réussite. Joan l'avait toujours trouvé très douée dans son business et ce n'était pas étonnant qu'il fonctionne à merveille. Joan souriait devant la force de son amie, elle avait failli rater son coup mais c'était les risques du métier. Joan réalisait qu'elle aurait continué juste pour ressentir le danger sur son épaule mais il fallait oublier tout cela...

J'imagine. Tu as arrêté ou tu continues ici? Je me suis lancée dans rien du tout malheureusement. Je suis une simple vendeuse en animalerie maintenant. La gloire me manque si tu vois ce que je veux dire.

La conversation se poursuivait au même flux que la musique qui résonnait dans la pièce. Avec un regard amusé, Saoirse observait les danseurs se frottaient les uns contre les autres. Pauvre jeunesse ! Elle reporta bien vite son attention sur Joan. Elle sourit quand elle parlait de son dernier enfant. Il n'y avait pas encore pensé. Pour l'heure à vrai dire, ça n'était pas tellement dans ses plans. Certes, Détroit était dangereux pour une femme comme elle mais elle n'allait pas arrêter pour autant. La peur de la justice ne l'avait jamais empêché de faire du business, elle n'allait donc pas l'empêcher de porter des bébés si elle le souhaitait.

- Je t'avouerais que je n'y pense pas trop. Je suis encore jeune. Je suppose que quand je ne pourrais plus pour une raison ou une autre, alors j'arrêterais. Ca fait partie de moi maintenant, j'aurais du mal à m'en passer, je crois !

Droguée à la grossesse, elle devait être folle. Pourtant dans un autre sens, elle avait été élevée pour ça. Porter des enfants afin de pouvoir le moment venu repeupler le monde. Vaste et ridicule projet ! Mais l'envie et le besoin étaient restés comme des bouées pour éviter de sombrer à cause d'une adolescence et une enfance pourraient par la paranoïa de certains et la folie de ses parents.

- Non, non, je continues ! J'ai déjà pas mal perdu avec mon petit séjour derrière alors il a fallu que je remonte l'affaire et rassura la clientèle. T'en connais certains, je te laisse imaginer le bazar. Vendeuse en animalerie ? Et ça te plaît ? Pas trop ennuyeux ? Je voies très bien ce que tu veux dire, difficile de faire sans, on est des marginaux !

Aujourd'hui encore, elle n'en revenait d'avoir failli se faire chopper. Celui-là l'avait payé cher d'ailleurs, par chance, elle avait été plus intelligente que lui. Elle était toujours surveillée mais elle savait y faire. Après la psy, elle avait aisément bernée les flics et le business continuait. Elle avait du mal à envisager de se ranger comme Joan. Elle avait bien un boulot légal mais seulement ça ? Pas vraiment envisageable, au risque de mourir d'ennui. Une vie à courir après l'adrénaline.

La nostalgie, la mélancolie emplissaient le coeur de Joan. Qui aurait cru que cette jeune adolescente en souffrance menée par sa seule haine devienne autant accrochée à ce qu'elle avait toujours haï? Elle avait bien changé en dix ans, certainement une des transformations les plus grandioses que l'Histoire ait connue. Pourtant, Joan n'avait pas l'impression de s'être autant éloignée d'elle même.. Aujourd'hui, sa nouvelle quête consistait à retrouver son humanité pour ne pas sombrer dans la noirceur abyssale du crime. Elle avait fait tant de choses que sa chère mère désapprouverait, il était temps qu’elle se rattrape pour ne pas terminer en Enfer...
Il semblerait que contrairement à elle, Sao comptait continuer ses vices. Si Joan avait eu la force, elle aurait certainement choisi cette voie, n'ayant plus grand chose à perdre...

Heureusement que tu ne les gardes pas longtemps sinon on devrait construire une crèche rien que pour toi.

Elle parlait un peu plus bas au cas où des gens écouteraient. Puis, elle étouffa un rire, Saoirse avait beau faire bon nombre d'enfants, elle n’avait jamais voulu en garder un seul. Quelle force d'esprit que Joan admirait depuis longtemps déjà.
Leur carrière professionnelle commençait à clairement diverger, Joan en était triste, elle avait aimé leurs rapports dans ce domaine. Il y avait une fin à tout pourtant mais Kellers appréciait que son amie continue, de cette manière, elle aurait toujours une période de confiance au cas où... Elle ne mettait pas de côté cette idée si un jour, le moment opportun arrivait à nouveau...

Je suis sûr qu'ici, tu auras plus d'opportunités. Ce n'est pas aujourd'hui que le goût du risque s'éteindra, ça c'est certain. On le garde pour toujours celui là. Je dois t'avouer que ce n'est pas vraiment ma tasse de thé mais bon, il faut bien gagner sa vie avec les charges.. Heureusement que je suis seule.

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