WHERE'S MY MIND ?

Sao' & Adam

Il fixait avidement son verre. Perdu, laissé, désemparé, léthargique, sa gorge était sèche, ses yeux eux vides de sens, vides de cette énergie qui d'habitude l'habite. Une désinvolture, un désespoir, une perdition. La dépression, quelque chose de si rare chez Adam, un concept qu'on raye directement de sa personne en lui adressant la parole. Et pourtant, ce jour si spécial, ce jour le hantant revient chaque année, son jour de relâchement si vous voulez. Durant ces vingt-quatre heures, il ne parle pas, ne voit personne, ne bosse pas et a ce regard qu'on a du mal à croire quand on sait qu'il provient de lui... un regard... de compassion, de tristesse et de... souffrance ? Non, ce jour annuel est maudit, maudit par son coeur, maudit par sa mémoire, maudit par sa propre âme. Adam ne souhaite qu'une chose, que ce blasphème, cette intrusion dans sa force se dissipe au bout de la journée. Oublier, ignorer, fermer les yeux, soupirer, effacer et recommencer. L'arrogant milliardaire perdait en ce jour récurrent tout son aura, toute sa vitalité, toute sa puissance, toute son arrogance laissant simplement place... à sa déchéance. Sa main se serra autour du verre, son bras s'actionna pour porter le verre à ses lèvres. Le doux liquide de l'oubli se déversa dans sa gorge, ses yeux se fermèrent tandis que l'homme dégustait cette précieuse solution. Il reposa enfin le contenant pour caresser sa surface lisse et froide et enfin murmurer, ailleurs : « Sarah... ».

Le scientifique n'avait aucune envie de se lever, aucune envie de bouger de cette chaise, aucune envie de partir de cet endroit miteux. Les lumières tamisées donnant une ambiance morbide à la salle, la musique elle dépassait un moment, les rires qui provenaient d'un groupe d'ivrogne sans retenue, non... Adam s'en foutait, cela lui rappelait sa douce et poétique Islande. Le vent frais soufflant contre les toitures, le rire des hommes provenant du pub. Cette journée, oui, cette journée elle lui rappelait à quel point il a tout perdu et à quel point il se leurre sur la vie pour avoir un semblant d'amour et de... raaah ! Ca ne ressemble nullement à Adam de se laisser abattre ainsi.

Une main se glissa sur son épaule, sa main fit volte face, décocha son revolver à sa ceinture et posa le canon geler de son flingue sur l'étranger qu'il fusillait du regard. Un sursaut de stupeur envahit la salle voyant l'arme dirigée pille sur le cerveau du jeune homme qui devait avoir vingt ou vingt cinq ans complètement paralysé par la peur n'ayant même pas eu le temps d'avoir un hoquet de surprise. « Je-je... euh... voulais savoir si vous étiez M.Oky... », l'intéressé secoua la tête se relevant en le repoussant salement posant un billet de dix dollars sur le comptoir toisant l’individu en face de lui. « Et bien non, ce n'est pas lui petit con ! », sa froideur presque divine glaça le sang de jeune complètement terrorisé par le sentiment d’insécurité qu'émanait le fou voir paranoïaque en face de lui. Il avança, lança un dernier regard à la salle tétanisé avant de sortir du bar en espérant que personne n'a appelé les flics. Il détestait ce jour, il haïssait ces heures, il ne supportait pas ces secondes. Souvenir de cette journée où il apprit que sa mère et sa sœur ne rythmeraient plus jamais sa vie.

Le froid frigorifia sa peau, il errait dans la ville essayant d'échapper au temps et à ce fantôme relié par une chaîne d'or à son pied. Le jour de la mort de sa mère et de soeur, ce jour resurgit guettant l'optimisme et le narcissisme d'Adam. Ce jour lui fait rappeler cette séparation qu'il a subit avec son frère et sa soeur, ses repères détruits et ravagés. Il empestait naturellement l'alcool, il se doutait qu'il avait peut-être trop but, mais cela lui importait peu, comme toutes les autres choses à vrai dire. Adam prit finalement un escalier menant au métro vide à cette heure reculée de la nuit. Il passa sa carte pour ouvrir les portes. Pas un chat, comme cela était prévu. Il s'avançait tel une ombre dans ce lieu où le rugissement des serpents de fer se faisaient entendre et sentir. Ses pas s'arrêtèrent au bord du quai, attendant patiemment son reptile artificiel fait de fer. Le wagon de métro arriva enfin à ses pieds, il entra tout naturellement les lumières froides se synchronisant avec ce silence léthargique. Il releva le regard vers les portes qui vont bientôt se fermer, il est temps que ce voyage se termine...

© Childish Wings

Le wagon était désert mais c'était ainsi que Saoirse le préférait. Elle ne voulait croiser personne. C'était à peine si elle continuait le trafic. Les clients l'ennuyaient et elle avait peu de patience avec ceux qui s'évertuaient à discuter le prix ou la marchandise. Elle avait peu de patience avec tout le monde à vrai dire. Le fait qu'elle n'ait pas vraiment d'idée n'y était pas pour rien. Hormis quelques connaissances qu'elle considérait importante, le reste lui importait peu. Elle était même peu concernée par sa propre survie. Elle, qui avait perdu sa fonction principale. User d'une arme n'était rien d'extraordinaire pour elle. On lui en avait mis une dans les mains avant même qu'elle n'en comprenne l'usage. Tuer non plus n'était pas un problème. Elle avait quelques cadavres dans son placard et pas seulement datant de sa vie de trafiquante. Les choses avaient commencé bien avant.
Quand elle avait enfin retrouvé sa liberté, elle avait rapidement pris conscience qu'elle ne connaissait rien d'autre. Élevée pour repeupler l'humanité le moment venu, elle avait depuis porté treize enfants. Élevée pour survivre en usant de n'importe quelle arme possible face à n'importe quelle circonstance, elle était devenue experte en armes sans même avoir fait les études sur le sujet. Elle en connaissait chaque pièce, chaque usage. Dans le milieu, elle était devenue une forme de référence. Une réputation qui lui avait valu une belle clientèle. Et enfin élevée sans les moindres études, elle avait tenté de combler sa soif de connaissance que lui réclamer son QI au dessus de l'ordinaire. Nombre de thé ses qu'elle avait fini de compter. Nombre de domaines qu'on lui avait interdit et qu'elle s'était plus à explorer dans les moindres détails. Libre mais ignorante, elle avait fait avec les armes qu'elle avait. La société avait cessé d'être pour elle le jour où elle était entrée là-bas. Elle priait pour ne jamais recroiser personne de cette époque. Jamais. C'était loin, c'était derrière. C'était encore plus écrasant qu'auparavant. Un maillon de la chaîne s'était brisée et sa vie avait suivi le même chemin. Elle était seule à pouvoir prendre les décisions, elle était effroyablement seule. A l'origine, elle avait apprécié cette solitude mais avec les mois qu'elle venait de traverser, elle aurait bien aimé avoir quelqu'un qui se souciait de son état. C'était bien sur trop demandé.

Assise au fond de la rame, Saoirse faisait le trajet habituel pour rentrer dans cet appartement que les anciens parents avaient eu la bonté de lui laisser. Pas même leur regard de pitié pourtant n'avait été pire que le sentiment qu'elle ressentait depuis son échec. Son échec. Une mort qu'elle porterait toujours sur la conscience alors qu'elle n'avait rien fait pour. Elle ne se sentait pas réellement coupable. Certes, elle portait la mort de cet enfant sur ses épaules mais ça n'était pas le sentiment dominant. A la vérité, elle était perdue. Quelle voie prendre quand aucune ne s'ouvre face à soi ? Perdue dans ses réflexions et ses questions, elle voyait défiler les stations sans que personne ne monta jamais dans la rame. C'était aussi bien. Ca aurait pu le rester. Cela ne dura pas. Elle jeta un regard en coin à l'autre passager qui venait de la rejoindre dans le wagon. Son visage lui était familier même si elle ne l'avait jamais rencontré en personne. Il était de ce dont elle se faisait un plaisir de détourner les armes pour les revendre. De la très bonne marchandise en réalité. Son regard se fit plus insistant mais elle doutait qu'il le remarque.

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