« C'était pas censé être un dîner tranquille ? »

Contre la vie qui va qui vient Puis qui s'éteint Contre l'amour qu'on prend, qu'on tient Mais qui tient pas Contre la trace qui s'efface Au derrière de soi Jeunesse lève-toi ► SAEZ

Noah avait été celui qui avait proposé à Hesther de se faire un petit dîner décontracté. Lui qui avait choisi le restaurant un peu au hasard. Lui qui était arrivé en avance et s'était levé de sa chaise quand Hesther était entrée dans l'établissement. Lui qui avait étouffé un éclat de toux avec un sourire. Dîner décontracté. Ils s'étaient pourtant mis à parler du boulot qu'Hes' avait quitté depuis l'annonce de sa grossesse, d'Hesther et de son ventre qui commençait à s'arrondir, des vacances qu'ils avaient eu chacun de leur côté. De la qualité des plats, du service. Ils avaient mangé tranquillement. Il avait passé son temps à s'empêcher de tousser à s'en arracher les poumons. Il attendait le bon moment. Le bon moment pour se taire, se concentrer, se préparer, réunir ses forces et dire ce qu'il avait à dire. Ils attendaient qu'on leur apporte leur dessert quand il s'excusa et fila vers les toilettes des hommes. Il toussa à en perdre le souffle, se raccrochant aux bords du lavabo. Il aspira l'air, en manque d'oxygène. Et ouvrit le robinet, laissant l'eau couler et partir dans les tuyaux, teintée de rose. Il poussa un soupir et se prit la tête entre les mains, un instant. Il fallait se résigner. Il revint avec un sourire aux lèvres jusqu'à leur table. On avait apporté les coupes de glaces qu'ils avaient commandé. Noah se rassit et tritura du bout de la cuillère la crème glacée dans la coupelle. Il la regardait fondre au contact des parois de l'objet, se mordant la lèvre inférieure. Il finit par reposer la cuillère. Il n'avait pas touché aux boules de glace. Il avait le poing fermé posé devant la bouche, pas encore assuré de ce qu'il allait dire.

« Hesther... Il faut que je te dises quelque chose. » Maintenant, il ne pouvait plus reculer. Il prit une bouffée d'air et se retint de tousser à nouveau. Il se massa un instant les paupières avec son pouce et son index, et puis releva les yeux et ajouta : « Il vaut mieux que tu restes assise. Tu as le bébé.. Manquerait plus que tu t'écroules. » Il était certain qu'avec de telles paroles, il n'allait pas rassurer la jeune femme. Elle avait sûrement déjà remarqué des choses, comme tout ceux du cabinet et qui le côtoyait. Deux mois qu'il semblait traîner une bronchite, qu'il s'étouffait presque tellement il toussait parfois, qu'il serrait les dents, d'un coup, et portait une main au niveau de ses côtes, ou qu'il s’essoufflait, ou n'importe quoi d'autre... « C'est pas simple pour moi non plus, tu sais... » Bon, il allait falloir qu'il arrête de tourner en rond, qu'il prononce les mots, qu'il l'avoue. « J'ai un cancer du poumon. » Il se tut et baissa les yeux. Il avait enfin dit ça. Ou du moins l'avait plutôt balancé. Il se mordait la lèvre inférieure, anxieux. Il releva le regard, au bout d'un instant. Et comme pour confirmer ses propos, il fût pris d'une nouvelle quinte de toux. Il saisit sa serviette pour se cacher la bouche comme cela se faisait. Il pourrait en repayer au propriétaire des lieux. Il venait de la foutre en l'air, avec le sang qui lui sortait encore une fois des poumons. Il la replia soigneusement pour cacher les dégâts. Mais le mal était là. Noah était atteint d'un cancer. Et il n'y pouvait quasiment rien.

Hesther J. Mcfadden & Noah A. Edgerton

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C'était pas censé être un dîner tranquille ?

Noah & Hesther

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Un dîner, tout ce qu'il y a de plus normal, entre collègues, du moins c'est ce que ce repas était censé être – au moins en apparence. Un moment qu'ils ne s'étaient plus vus, un encore plus long moment qu'ils n'avaient pas travaillés ensembles, jusqu'à pas d'heure pour défendre le dossier d'un client. Aussi acharné au travail qu'elle avait pu l'être, lorsqu'elle était encore en activité, Hesther vouait un profond respect à l'homme qui lui faisait face. Bien qu'elle soit toujours un peu troublée par son physique – ressemblant comme deux gouttes d'eau et à s'y méprendre à son psychotique « d'ex-mari ». Ressemblance physique, mais cela s'arrêtait là. Intègre, d'une gentillesse frappante, toujours prêt à rendre service, Noah était à des années lumière de ce qu'avait pu être Mark. C'est presque avec ironie que la jeune avocate se rappelait les tactiques qu'elle avait pu employer pour l'éviter à tout prix, lorsqu'il était arrivé au cabinet d'avocats. Quelle idiote ! Les dernières nouvelles échangées, une conversation presque anodine voire normale s'était installée, pourtant Hesther avait remarqué que Noah se comportait de manière assez étrange. Le jeune homme semblait être à bout de souffle et sur le point d'exploser à chaque fin de phrase. Lors de leurs derniers entretiens, elle s'était aperçue qu'il toussait de façon assez répétitive, ne voulant pas le gêner et encore moins se montrer curieuse, elle n'avait rien osé dire. Peut-être avait-il attrapé un germe hospitalier, ou quelque chose dont il avait du mal à se débarrasser. Entre sourire gênés et paroles inutiles uniquement bonnes à combler le vide de la conversation, mais surtout couvrir les toussotements du brun, Hesther ne se sentait pas particulièrement à l'aise en cette fin de soirée. Du bout de sa cuillère, elle triturait le dessert se trouvait devant elle, depuis quelques minutes déjà - sans toutefois oser y toucher - depuis le départ un peu précipité de Noah. Il tardait un peu à revenir. La jeune avocate eût tout à loisir d'observer les visages de ses différents voisins, durant l'absence de son collègue. Tout comme elle eût tout le temps nécessaire pour cogiter sur son sort. Il était assez rare qu'elle ose sortir depuis le début de sa grossesse. Ce n'était que depuis très peu de temps qu'elle avait enfin réussi à accepter la situation et à ne plus se sentir honteuse. Elle était presque épanouie, presque. Ne lui manquait plus qu'un retour au bureau pour pouvoir se sentir bien dans sa peau.

Un mouvement, un flux d'air qui se déplace, lui indiqua qu'il était de retour auprès d'elle. Lentement, elle releva la tête. Presque immédiatement, elle remarqua que quelque chose ne tournait pas rond. L'annonce d'une mauvaise nouvelle était clairement inscrite sur les traits de son interlocuteur. Cuillère toujours en main, elle allait enfin entamer son dessert lorsque la voix de Noah résonna. Interdite, légèrement hébétée, elle le contempla sans mots dire, attendant avec une certaine angoisse, la suite de la conversation. Son regard clair se posait tantôt sur Noah, tantôt sur sa coupe glacée. Dire quelque chose, à quel propos ? Hesther se mordit la lèvre inférieure, sentant une boule d'angoisse se former dans sa gorge. Qu'allait-il bien pouvoir lui annoncer ? Se faisait-il l'avocat du diable – sans mauvais jeu de mots – pour lui annoncer en avant première qu'elle ne retrouverait pas son poste au sein du cabinet ? Rester assise ? De pire en pire. Qu'il achève ses souffrances au plus vite, retire le pansement d'un coup sec afin de lui épargner une syncope. L'annonce vint bien plus vite qu'elle ne l'aurait pensé au final. Elle reçu l'information de plein fouet. Paroles meurtrières qui la forcèrent à lâcher sa cuillère, qui retomba dans un tintement sonore dans la coupelle devant elle. Les mots lui manquèrent, tandis que l'information perçait la barrière de son cerveau. « Un c... c... cancer... de... depuis quand tu es au courant ? Je... je suis vraiment navrée pour toi ! », que dire dans ces instants difficiles ? Hesther n'avait jamais été très douée pour trouver les formules adéquates. Les mots se bousculaient dans sa tête - mélange informe ne voulant plus rien signifier - le peu qui parvenaient jusqu'à sa bouche, se bloquèrent dans sa gorge, alors qu'elle aurait voulu lui dire tellement plus. Pour ne pas passer pour insensible, elle préféra lui montrer son soutien par un geste. Doucement, elle posa sa main sur celle de Noah. « Ça va peut-être te paraître grotesque et je ne suis pas très douée pour trouver les bons mots... mais si besoin, je suis là ! ». Le sort semblait lui aussi s'acharner sur Noah, cela n'était vraiment pas juste. La nouvelle l'atteignait bien plus qu'elle ne voulait bien le montrer. Un regard de plus sur le jeune homme, et elle sentit sa vue se brouiller. « Quelle maladie de m... Te... tu vas être sous chimio ? ». Ce n'était peut-être pas la meilleure question à poser, mais elle ne savait vraiment plus quoi dire. La nouvelle avait bien du mal à passer.
► Namy

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À qui avait-il pensait qu'il ferait le plus mal ? Il n'avait pas voulu y penser. Mais il le savait, il le voyait. Il s'était poignardé en prononçant ces mots. Il avait poignardé Hesther. Elle était ébranlée. Et ne pouvait pas entièrement le cacher. La voix de Noah avait quitté sa gorge. Il y avait des mots qui revenaient et reviendraient toujours. Une oreille, une épaule si il en avait besoin. Mais un simple petit geste qui lui fit relever ses yeux bleus-verts. Sincère. Les gens ne l'étaient plus forcément quand une mauvaise nouvelle se pointait. Et Noah qui était devenu aphone à force de se retenir de craquer en sanglots. Depuis les mots du médecin, après lesquels il avait fait une tête d'enterrement, aucune goutte n'avait réussi à se glisser en-dehors de ses yeux, rouler sur sa jouer, s'écraser sur le sol. « Quelle maladie de m... Te... tu vas être sous chimio ? » Alors on pouvait se demander pourquoi un sourire narquois s'était glissé sur les lèvres de Noah. Pour la simple et bonne raison que le cancer avait changé une seule chose en lui. Il y avait en ça de l'ironie, un peu de cynisme... Surtout un besoin flagrant de se sentir plus fort par les mots, de renvoyer la maladie au placard, de regarder le monde et de s'en foutre, de devenir un peu détaché. Une attitude qui s'était au fur-et-à-mesure collée à lui ces derniers jours. Se donner l'illusion d'être le gagnant. Que ce n'était qu'une vaste blague. Que ce monde aussi n'était qu'une blague. Et se protéger de ses attaques dans un cocon de mots. Les mots étaient plus douloureux que les couteaux. Il n'était pas sûr qu'ils soient aussi efficaces face au cancer.

« Ouais, maladie de merde. Je l'ai appris il y a quelques jours. » Edgerton déglutit. Sa voix se perdait, se fêlait, rauque, incertaine. Brisée. « Ce genre de cancer répond bien à la chimio apparemment.. Ils me laissent deux mois de répit. Et puis..Ils lancent tout le processus. Début novembre. » Il se mordit la lèvre inférieure. En parler, formuler les mots. C'était loin d'être simple. Très loin. Noah serrait le poing sous la table. Son autre main, il ne l'avait pas dégagée de celle d'Hesther. Il n'aimait pas qu'on l'aide. Qu'on prenne pitié de lui, si ça arrivait. Mais ce n'était pas de la pitié, pas de l'aide. Juste le soutien d'une amie. Quelque chose qui était nettement plus rare à trouver quand on annonçait qu'on avait une tumeur. Maintenant qu'il en parlait, avouait, les émotions se détraquaient. Une larme avait réussi à se glisser au coin des yeux de Noah. Noah qui tentait un sourire mais avait les yeux noyés. « Mais ils veulent que j'arrête le boulot maintenant, je peux plus tenir visiblement. Tu te rends compte, comment le cabinet va réussir à tourner sans sa grande avocate et son fidèle associé ? » Sourire de tristesse, de dépit ? Et pourtant il souriait, un sourire large. Il souriait comme un con, de toutes ses dents ou presque. Il attrapa la serviette déjà foutue et tenta tant bien que mal d'éponger les gouttes salées qui s'étaient enfin frayées un chemin. « Et maintenant je pleure... Non mais c'est bon j'suis foutu si je chiale comme ça, c'est classé ! » Trop. Beaucoup trop. Il avait besoin d'évacuer. De relâcher la pression. Quelques têtes s'étaient tournées vers leur table mais avaient vite repris leur angle normal. Quel beau spectacle. Un homme désespéré, une femme enceinte. Qu'est-ce qu'ils pouvaient s'imaginer, ces gens-là ? Un couple, attendant un bébé, et devant faire face à une grave maladie chez l'homme ? Noah était bien élevé. Un peu trop, parfois, à son goût. Mais là, en cet instant, il aurait presque été tenté de leur balancer à tous la même chose à la figure : "Le malheur des autres. C'est toujours plus intéressant à regarder que le sien." Le même que sa mère. Même cancer. Même fléau. Il ne lui restait plus qu'à croiser les doigts. Croiser les doigts pour ne pas finir comme elle. Faire ça, rien que pour sa petite soeur. Pour pouvoir la revoir, une fois au moins. Et lui dire encore qu'il était désolé.

Hesther J. Mcfadden & Noah A. Edgerton

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Noah & Hesther

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Profonde notion d'injustice qui s'installa à table avec eux, tandis qu'elle gardait toujours la main de Noah au creux de la sienne. A quoi pouvait bien rimer toutes ces épreuves qui venaient entraver la route de milliards de personnes ? Ce qui ne tue pas rend plus fort, est-ce vraiment une raison pour s'acharner sur certains ? Se dire qu'il y a toujours pire que soit sur cette planète, n'est en soit qu'une bien piètre consolation, ou bien un adage uniquement bon pour les idiots, dans le but d'encaisser encore et toujours plus. Le sort s'acharne sur certaines personnes, peut-être sont elles des bouc-émissaires désignées d'office, la faute à pas de chance si cela tombe sur vous. Tout comme elle, Noah n'était pas né avec le derrière bordé de nouilles, pourtant il ne méritait vraiment pas ce qui lui arrivait. Bien entendu, Hesther n'était pas le genre de personne à souhaiter du mal à autrui, non, mais elle trouvait que Noah aurait mérité bien mieux que le sort qui lui était actuellement réservé. La jeune femme ne connaissait pas vraiment le sujet, la simple évocation du mot cancer était suffisante pour lui donner des sueurs froides, pour elle cela voulait presque automatiquement dire : arrêt de mort. Image certainement tronquée par le cliché qu'elle avait de la maladie, pour autant elle aurait vraiment voulu croire aux paroles de son collègue. Pourvu qu'il réagisse bien à son traitement, qu'il n'y ait pas de complications et qu'il en réchappe comme si de rien n'était. Si seulement tout cela était aussi simple, souhaiter quelque chose ardemment, claquer des doigts et l'obtenir. Si seulement... Vraiment ébranlée par la nouvelle – et ce n'était pas là une fausse comédie pour se faire mousser – elle n'osa même pas imaginer ce qui devait se tramer dans la tête – sûrement trop pleine – de Noah. L'annonce récente de la maladie ne devait pas franchement être simple à encaisser, elle pouvait clairement imaginer cette difficulté, comprendre, mais n'ayant jamais vécu ce genre de situation, elle ne pouvait pas se mettre à sa place. Le timbre de voix du jeune homme, ne faisait que renforcer un peu plus le côté tragique de la scène. Pourquoi est-ce que cela était tombé sur lui ? N'avait-il pas droit au bonheur ? Qu'avait-il fait pour mériter ça ? Autant de questions qui lui traversaient l'esprit, mais qu'elle tairait en les étouffant dans les méandres brumeux de son esprit. Tant bien que mal, elle essaya de prendre sur elle, de ne pas se laisser aller à ses émotions, le point central était Noah et pas elle. Ne sachant que dire, elle se contenta de l'écouter, de hocher la tête parfois et de ne pas le regarder avec les yeux de la pitié, chose dont il ne voudrait certainement pas.

Aussi étrange que cela puisse paraître, il ne semblait pas vraiment triste – du moins pour le moment – pas vraiment en colère non plus. En fait, Hesther n'arrivait pas vraiment à cerner les émotions qui passaient sur le visage anguleux du brun, tout comme ce sourire qu'il afficha après une tentative d'humour. Tout ce qu'elle trouva à faire, ce fût de hausser les épaules, le cabinet s'en sortirait très bien sans eux durant un temps, il ne devait pas s'inquiéter pour cela. « Ne t'en fais pas pour le cabinet, il tournera très bien sans nous, concentre toi uniquement sur toi. Si ton médecin juge que tu dois t'arrêter, alors arrête toi, fais ce qu'il faut pour revenir en pleine forme, prêt à botter les fesses de n'importe qui ! ». La jeune avocate resserra un peu plus sa main autour de celle de son collègue, ne sachant que faire d'autre, totalement impuissante devant les larmes, la voix brisée, les sourires polis... « Si pleurer peut t'aider à évacuer la pression et le choc de l'annonce, alors lâches-toi ! Rien n'est classé, je t'ai connu bien plus combatif que ça Noah ! Tu... tu veux qu'on aille prendre un peu l'air ? », demanda-t-elle après avoir avisé les visages qui s'étaient tournés vers eux, pour éviter ces regards bien trop pesants à Noah. L'animation de la soirée, voilà à quoi ils en étaient soudainement réduits. Maudits voyeurs.
► Namy

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« C'était pas censé être un dîner tranquille ? »

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« Si pleurer peut t'aider à évacuer la pression et le choc de l'annonce, alors lâches-toi ! Rien n'est classé, je t'ai connu bien plus combatif que ça Noah ! Tu... tu veux qu'on aille prendre un peu l'air ? » Noah était, en quelques sorte, perdu au milieu de nul part. Il secoua légèrement la tête. Non. Non, il ne laisserait même pas ce plaisir à ces personnes se délectant de son malheur. Il passa une main sur son visage et prit une bouffée d'oxygène. Repartir, en pleine forme. Toujours. Ici, peut-être plus que dans son ancienne vie, il y avait quelque chose d'irréprochable. Il était un gamin qui était comme les autres mais avait réussi par son talent à joindre Harvard. Il avait fait de l'humanitaire. Et puis il était venu à Detroit. Il n'y avait pas de failles. Et quand on l'associait, par son nom, aux Edgerton de NYC, il éludait, ou trouvait une petite blague. Mais il n'y avait plus de lien avec ces gens-là. Personne ne soupçonnait, à part cette journaliste horripilante, qu'il était le fils Edgerton. Il était noyé dans la masse. Normal. C'était tellement mieux ainsi. Noah posa ses yeux sur la crème glacée qui fondait. Il poussa un peu la coupelle. « Non, ça va aller, t'inquiète pas. » Il dégagea doucement ses doigts de ceux d'Hesther et posa son visage dans ses deux mains. Il resta un instant, long instant, ainsi. Les visages s'étaient détournés, les discussions avaient reprises. Il n'y avait plus rien d'intéressant maintenant. Il déglutit et sortit son visage de ses mains.

« T'as peut-être raison finalement, j'ai l'impression d'étouffer à l'intérieur. » Mince sourire. Noah étouffait à peu près n'importe où. Même si ils n'avaient pas touché à leur coupe de glace, ils demandèrent l'addition. Noah ne laissa pas à Hesther le temps de vouloir payer sa part. Il tendit sa carte bancaire au serveur, signifiant à la jeune femme "C'est bon, ça me fait plaisir." Ce qui était vrai. Quand ils sortirent de l'établissement, la nuit était quasiment entièrement tombée. Ah, c'était fini, l'été. Les joies de journées de plus en plus courtes, du froid qui allait revenir en force, des chutes de neige qui ne manquaient jamais à Detroit... Un petit, petit vent frais les accueillit, il arracha un frisson à Noah qui fut secoué d'une nouvelle quinte de toux. Il resta un moment là, sur le pas de la porte, le regard perdu dans le vide, comme si il fouillait en lui, les poings dans les poches. Il finit par tourner son visage du côté d'Hesther. Il entrouvrit les lèvres, comme si il s'apprêtait à parler. Mais il se résigna, et s'assit sur le rebord en béton du perron. « Ma mère est morte du même cancer en 2000. C'est pour ça aussi que je disais que c'était classé. » Il se mordit les lèvres, les yeux brillants. Il devait se résigner, il était malade. Et il ne pouvait pas exclure la mort. C'était une possibilité comme les autres. Il lui fallait mieux qu'il s'y familiarise. Au moins, si il était réellement foutu, la nouvelle ne le détruirait pas. Il serait prêt. Et puis, si il s'en tirait... Alors il s'en tirerait, oui, et il arrêterait de penser à ces choses là.

Hesther J. Mcfadden & Noah A. Edgerton

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La vie... drôle de vie parfois, qui ne fait pas de cadeau et n'épargne personne. Dur coup du sort pour le trentenaire, qui essayait malgré tout de garder la tête et de sauver les apparences. Hesther comprenait mieux à présent les signes avant coureurs et les nombreux symptômes qu'elle n'avait jusqu'alors pas réussi à identifier clairement. Elle lui adressa un regard plein de compassion – non pas de pitié – tandis qu'elle pouvait clairement imaginer ce qu'il ressentait en ce moment même vis à vis du travail. Si elle ne pouvait pas comprendre ce qu'il ressentait vis à vis de la maladie, elle était au moins persuadée d'une chose, c'est que s'arrêter comme ça du jour au lendemain ne serait pas une mince affaire. L'associée de Noah avait connu ça il y a quelques mois, suite à la prise d'otage survenue dans le bus. Pas facile de stopper toute activité professionnelle, surtout dans leur cas, lorsque celle-ci est presque vitale. Pour Hesther – cela ne devait pas être vraiment différent pour Noah – le travail était son garde-fou, son échappatoire. Tout comme elle, il devrait apprendre à composer sans. Plus de branche au bord du gouffre pour se rattraper, il devrait nager sans bouée de sauvetage. Il accepta finalement sa proposition d'aller faire un tour à l'extérieur, il se chargea d'ailleurs de régler l'addition, chose qui embarrassa la jeune femme.

L'air frais du dehors lui fit le plus grand bien, une légère brise vint lui caresser le visage tandis que la clameur de la rue les enveloppaient tous deux. Cherchant toujours un moyen de le réconforter du mieux qu'elle pouvait, elle pris place à ses côtés. Elle allait dire quelque chose, puis se ravisa, préférant écouter ce que son collègue pouvait bien avoir à lui dire. Phrases qui la laissèrent interdite durant quelques secondes. Que pouvait-elle dire, sûrement pas quelque chose comme : ce n'est pas grave, ça va passer ne t'en fais pas, ou bien encore ne t'inquiètes pas... Non, rien de tout ce qu'elle pourrait dire de toute façon ne changerait rien. « Ce n'est pas parce que ta mère est morte de cette foutue maladie que tu es forcément condamné. La médecine fait sans cesse des progrès, il y a dû avoir un bon en avant depuis les années 2000. Je ne sais trop quoi te dire, hormis profite... Fais un pied de nez à cette saloperie et profite de ce que la vie peut encore t'offrir, même si cela devait être tes derniers instants, fais tout ce que tu voulais faire et que tu n'as pas pu ou eu le temps de faire ces dernières années, profites de ton congés pour vivre à 300% ! Si le pire devait se produire, il faut que tu n'ait rien à regretter ! ». C'était peut-être stupide comme idée, mais c'est ce qu'elle ferait si elle s'était trouvé à la place de Noah. « Au besoin, pour n'importe quoi, je suis là ! »

► Namy

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« ... Fais un pied de nez à cette saloperie et profite de ce que la vie peut encore t'offrir, même si cela devait être tes derniers instants, fais tout ce que tu voulais faire et que tu n'as pas pu ou eu le temps de faire ces dernières années, profites de ton congés pour vivre à 300% ! Si le pire devait se produire, il faut que tu n'ait rien à regretter ! » Profiter. Outre quelques cas rares, les gens qui apprenaient qu'ils étaient atteint d'un cancer important, un peu comme le sien, et qui se savaient presque condamnées, ne cherchaient pas à grimper jusqu'au sommet du Kilimandjaro ou nager avec des requins. Mais garder la même vie. Garder la même vie, le même train-train. Personne ou presque ne tentait de s'enfuir. D'y échapper. Noah était comme les autres. Il aurait aimé garder la même vie, même train-train quotidien. Parce que si il écoutait Hesther, il ferait des choses bien trop douloureuses. Revenir à New-York et se confronter à son père. Revoir sa soeur, et ne plus être capable ensuite de la quitter à nouveau. Et puis de toute façon, si il voulait monter des montagnes et tout, il voyait mal comment il pourrait. Comment il pourrait faire un trekking dans la nature encore sauvage alors que monter un escalier était déjà une escapade.

« Si tu accouches un jour où je fais de la chimio, je ferais un crochet pour venir te voir avec le petit bonhomme. » Il esquissa un sourire teinté de tristesse. Mais Noah essayait de chasser le sujet qui lui plantait un poignard dans le coeur à chaque instant. Il regarda un long instant le ventre d'Hesther. Et lui, homme résolument inutile sur cette planète fallait-il croire, avait de grandes chances de la quitter sans voir un petit être doté de son patrimoine génétique tendre ses petits, tout petits doigts vers lui. Il releva les yeux et croisa le regard de la jeune avocate. « En espérant que tu lui transmettras ta bonté. T'es quelqu'un de bien, de très bien, Hesther. Y'en a plus beaucoup dans ce monde, maintenant, des gens vraiment gentils. » Il se mordilla la lèvre inférieure alors qu'il baissait les yeux et se mettait à examiner avec un soin débordant le goudron à ses pieds. Peut-être qu'ils faisaient exprès. Ou pas. Mais la période où elle accoucherait, il commencerait la chimiothérapie.

Hesther J. Mcfadden & Noah A. Edgerton

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Noah & Hesther

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La vie qui donne, qui reprend, qui donne à nouveau avant de reprendre encore une fois. L'essence même de l 'existence, il faut juste admettre que lorsque que quelque part sur terre un être naît, un autre meurt. C'est ainsi que ça marche après tout. L'un arrive, et l'autre part, c'est dans l'ordre naturelle des choses, même si cela n'est pas forcément juste, même si cela n'est pas forcément le moment. Quelle vie pourrait bien prendre Aidhàn lors de son arrivée en ce bas monde ? Hesther espérait sincèrement que cela ne soit pas celle de l'homme qui était assis juste à côté d'elle. Après avoir tout d'abord eut l'envie de le faire adopter, la jeune femme était maintenant heureuse d'accueillir ce petit être, à qui l'on avait déjà trouvé un beau prénom d'origine Irlandaise, comme son père. Épanouie, heureuse, mais pourtant attristée que toutes les personnes de son entourage n'aient pas droit au même bonheur qu'elle. Elle espérait fortement que la roue tourne un beau jour pour toutes ces personnes, mais surtout pour Noah. « Si tu en as la force, ce sera avec grand plaisir qu'on te recevras tous les deux, ou trois ! », dit-elle avec un léger sourire au coin des lèvres, le regard rivé à celui de son collègue. Vraiment étrange de voir que le début de la chimiothérapie du jeune homme correspondrait – si tout allait bien – à la période où elle accoucherait. Quelle ironie. Lorsqu'elle serait censé vivre l'un des plus beaux épisodes de sa vie, lui serait branché de partout à des perfusions et vivrait sans doute une longue et douloureuse descente vers un abysse fait de nausées et de fatigue. C'est n'importe quoi, en vint-elle à penser. La suite des paroles du jeune homme la touchèrent au plus profond d'elle-même. Hesther mesurait toute la sincérité, mais aussi le poids des mots qui venaient de s'échapper de la bouche du brun. « C'est gentil ce que tu dis, mais arrête Noah, j'ai l'impression que ça sonne le glas de quelque chose. J'ai l'impression que ce sont des adieux ! Promets moi que tu vas te battre contre cette saloperie, et que tu ne la laissera pas gagner ! Tu es fort et ton jeune âge joue en ta faveur, du moins je l'espère ! » . Parce que c'était ça le plus important dans la guérison, d'un cancer du moins, le moral jouait une part très importante vers l'éradication de la maladie. Pour le moment, il lui donnait tout sauf l'impression d'avoir véritablement envie de se battre. Quelque chose dans son comportement semblait indiquer une sorte de résignation, peut-être était-ce l'acceptation tout simplement, mais la jeune femme en douta fortement. Ne sachant plus vraiment quoi dire, quel sujet aborder, sans avoir l'impression d'appuyer là où cela pouvait faire très mal, elle se perdit elle aussi dans la contemplation du goudron, pendant quelques secondes. Aidhàn remua un peu plus que de coutume, sentant certainement le stress de sa mère. Hesther posa sa main sur son ventre. « Il bouge beaucoup ce soir... j'espère qu'il ne sera pas aussi excité que son père ! », ajouta-t-elle avec un léger rire moqueur.
► Namy

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« C'était pas censé être un dîner tranquille ? »

Contre la vie qui va qui vient Puis qui s'éteint Contre l'amour qu'on prend, qu'on tient Mais qui tient pas Contre la trace qui s'efface Au derrière de soi Jeunesse lève-toi ► SAEZ

Essayer de se remettre à voir le lendemain comme un avenir, pas comme une échéance ou une journée de plus à se morfondre. Il ne fallait pas qu'il déprime. Plutôt qu'il retrouve la rage, la même que celle qui l'habitait quand il défendait un client, retrouver la même flamme. Que ce soit celle de la justice ou celle de l'espoir, il n'y avait qu'un pas après tout. « Il bouge beaucoup ce soir... j'espère qu'il ne sera pas aussi excité que son père ! » Noah posa ses yeux sur le ventre d'Hesther, avant de croiser à nouveau son regard. Il esquissa un sourire. Si il n'avait pas tout plaqué, il serait sûrement père à l'heure qu'il est. Mais il n'arrivait pas à regretter ses choix. Il aurait été père, mais encore et toujours malheureux et torturé par le conflit qui vivrait alors encore en lui. Noah regarda sa montre. Vingt-deux heures. Le temps passait vite quand les choses vous filaient entre les doigts. « Hum... J'ai vraiment passé une bonne soirée Hes'... Enfin avant que le dessert n'arrive, on va dire. - Sourire amer. Il s'était relevé et tendait sa main à la jeune femme pour l'aider à faire de même. - Prends bien soin de toi, on se reverra au plus tard quand ce jeune homme aura pointé le bout de son nez. » Il lui fit un petit clin d'oeil. Plus important qu'une vie qui commençait à s'effilocher, il y en avait une autre, juste là, qui n'attendait plus que de commencer.

Ils se dirent au revoir, firent la bise et Edgerton se dirigea vers sa voiture, Hesther vers la sienne. Assis dans l'habitacle de la berline qui sentait toujours bon le cuir, il regarda Hesther s'en aller, lui faisant un signe de la main au moment où il avait croisé son regard pour la dernière fois de la soirée. Ses mains serraient le volant. Il n'avait toujours pas démarré, attaché sa ceinture de sécurité. L'auto-radio diffusait en sourdine quelques standards du Blues. Noah pinça les lèvres, les yeux brillants. Les jointures de ses doigts s'étaient blanchies à force qu'il serre le volant. Il renifla et s'essuya le coin des yeux du revers de la main, boucla sa ceinture et démarra l'auto-mobile. Ne pas regarder derrière soi, aller de l'avant. Ce n'était qu'une nouvelle vie qui venait de commencer.

FIN.

Hesther J. Mcfadden & Noah A. Edgerton

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VERROUILLE