«Where have you been ?»
Iseult & Seven

La cigarette que Seven avait commencé se consumait lentement dans le cendrier. Mais, elle n’y faisait pas attention, non, son attention était concentrée sur tout autre chose, ou plutôt une personne. Une personne qu’elle aurait su reconnaitre entre mille. Son visage était apparut en direct à la télévision pour l’édition de vingt heures, et la tueuse l’avait fixée longuement. Aucun doute, c’était Iseult, surtout que son nom s’était affiché par la suite au bas de l’écran de sa télévision un peu dysfonctionnelle. Seven rechargeait et déchargeait son chargeur, perdue dans des pensées, ses cheveux encore mouillés de la douche qu’elle avait prise il y avait quelques minutes. Elle contemplait à présent l’écran noir de sa télévision, toujours en short et débardeur, elle qui pensait passer la soirée cloitrée dans son appartement bon marché de West Street voyait ses plans pour la soirée complètement chamboulés. Reposant son arme sur la table basse de la petite pièce qui faisait office de salon, la jeune fille se dirigea vers sa chambre, pour y ouvrir son armoire. Le vision qui s’offrit à elle lui arracha un sourire amusé, d’un côté elle avait tout ses habits qui lui servaient de déguisement, tous les jours au lycée et à l’université. Des combinaisons de sports, des vêtements passe partout, mais surtout cette perruque de long cheveux bruns qu’elle se forçait à porter. Parce que oui, elle ne voulait pas risquer quoique ce soit, et sa mine agressive de ferait qu’inciter l’empathie chez les autres et elle ne voulait pas cela. Elle était à fond dans sa couverture. Pourtant, elle avouait avoir eut un malin plaisir à terroriser ce Nathanael dans la salle des professeurs de l’université, ces derniers temps il s’enfuyait à chaque fois qu’ils se croisaient. Le pire dans tout cela, c’était qu’il racontait à tout le monde que Seven était une tueuse en série, et que tout le monde riait de la plaisanterie. S’ils savaient que ce n’était pas une plaisanterie, du moins pas complètement, ils trouveraient cela certainement moins risible. La jeune Jandrik posa ses yeux sur l’autre penderie de son armoire, toute ses combinaisons, ses vestes, ses gants, ses bottes en cuir. On aurait pu la qualifier de gothique, vu de l’extérieur, mais elle ne l’était pas vraiment, du moins elle se sentait à l’aise, même si cela pouvait paraitre étrange, dans le cuir. C’était flexible, souple, et elle ne se rappelait pas avoir eu envie une seule fois de s’habiller comme tout le monde parce qu’elle ne l’était pas, « comme tout le monde », on le lui avait assez répété.

Puisque la nuit elle se permettait enfin de redevenir elle-même, la criminelle entreprit d’enfiler une combinaison en latex sur laquelle elle ajouta un bustier en cuir qu’elle referma par la fermeture éclair dans son dos. Elle attacha ensuite son holster à sa ceinture, passa par le salon pour y glisser une arme de chaque côté et enfila une veste noire assez longue afin de cacher le tout, on ne savait pas qui l’on pouvait croiser, et puis elle n’avait pas envie d’alerter tout le monde. Alley District, le centre ville, BTV Tower, elle était passée devant l’autre jour, elle y trouverait Iseult, son amie complètement perdue de vue. Elle l’avait aidé quand elle s’était retrouvée par un coup du sort en mauvaise posture, si elle ne s’était pas cachée chez Iseult, elle aurait finie en charpie. A l’époque Seven avait vingt-deux ans, et puis ce qu’on pouvait dire c’est qu’elle s’était trouvée pas mal de point communs avec elle. C’était un peu la seule amie qu’elle ne se soit jamais faite. La tueuse se souvint aussi qu’on l’avait embauché pour la tuer, et que quand elle s’était rendue compte qu‘il s‘agissait d‘Iseult, elle avait fait en sorte qu’elle puisse s’enfuir. Elle avait aussi apprit la mort de son « embaucheur » par la suite mais n’avait pas chercher plus loin. Son amie s’était évanouie dans la nature, jusqu’à aujourd’hui où comme par hasard elle l’avait vu sur un écran de télévision.

Seven avait pris le métro, il y avait beaucoup de monde en cette heure tardive, et elle eut droit à quelques regards insistant, même à la remarque d’une adolescente qui lui avait dit que ses bottes pleines de boucles « claquaient », elle lui avait sourit sans dire un mot, elle n’était pas de nature très sociable. Arrivée près du fameux immeuble, elle pu enfin l’apercevoir en chair et en os, elle avait bien fière allure dans son ensemble de tailleur. Seven haussa les épaules et attendit qu’Iseult se retrouve seule alors qu’elle atteignait sa voiture. Seven lui adressa une légère tape dans le dos, décidemment Seven, il n’y avait pas plus gauche qu’elle pour les marques d’affection. Ceci eut le don d’effrayer son interlocutrice qui se retourna d’un coup, «  Salut Iseult. », avait-elle dit d’un ton neutre un léger sourire aux lèvres malgré tout. Elle ne pouvait pas cacher qu’elle était heureuse de revoir Ainsworth même si pour le coup elle n’allait certainement pas se laisser aller à une effluve de sentiments.

where have you been ?
« seven & iseult »

Bip répétitif, lumière vacillante. Elle sortit de sa torpeur et gagna son canapé d’où émanaient le bruit et la lumière. Coincé dans un repli du meuble : son téléphone, outil de travail qu’elle aimait à oublier lorsque rien ne la forçait à sortir. La plupart du temps … les messages et appels venaient de son père, ou de son psy. Sms. Grognement et course à l’habillement. Elle laissa là sa tasse de café froid et sortit en trombe de l’appartement. Cela ne lui était jamais arrivé, jamais ! Elle n’avait jamais oublié de préparer et répéter ce qu’elle allait dit au journal ! Jamais ! Elle qui croyait être de repos aujourd’hui … mais que lui arrivait-il ? Cela devenait encombrant. Sa mémoire s’appropriait toutes ses pensées et elle ne pensait plus qu’à ça, obnubilée qu’elle était par son passé. Précipité, elle plongea dans les escaliers et les dévala à toute allure. Superbe soirée, vraiment ! Rapidement, elle entra dans son véhicule et pria pour que la circulation soit bonne. Et merde. Foule dense, à croire qu’ils s’étaient tous donnés rendez-vous ce soir précisément pour lui pourrir la vie, ce n’était pas possible autrement. Rageuse, elle pianota sur le téléphone avant de relire le message.

De : Studio
Iseult bon dieu où es-tu ? Tu as un quart d’heure pour rappliquer et être prête, le journal se fera sans toi sinon !

Grande tape sur le front du plat de la main, elle se détesta. La régit l’avait directement contactée, aucune intermédiaire avec son paternel, heureusement presque. Certaine, toutefois, d’avoir à faire à lui d’ici à ce qu’elle soit montée au bon étage, Iseult prépara mille répliques dans sa tête. Elle ne se laisserait plus faire ainsi et veillerait à avoir le dernier mot sur lui. De toute manière, il trouverait bien un mot, rien qu’un qui la blesserait au plus profond d’elle-même. De quoi la rendre de plus mauvaise humeur encore. Evitant de justesse d’encastrer son véhicule dans le mastodonte qui la devançait, Iseult gara l’engin à deux rues de la Tower et se dirigea d’un pas ferme et rapide jusqu’à celle-ci.

Calme plat. Pas un seul rat dans le hall… Soit elle avait loupé un évènement particulier soit, véritablement, son retard se remarquait. Quoiqu’il en soit, elle traversa l’entrée le plus rapidement possible et gagna l’escalier doucement. Elle avait l’impression d’être aussi bruyante qu’un troupeau d’éléphant entier. La résonnance était affolante. Arrivée au bon étage, elle remarqua le silence de plomb qui régnait dans les bureaux. Se saisissant des feuillets qui trônaient en première place sur son propre bureau, Iseult s’engagea dans le long couloir qui menait aux plateaux de tournages. Aucune lumière ne filtrait. La chose était de plus en plus étrange. Que faire lorsque tous les employés, tous les journalistes de la BTV paraissaient avoir disparus ? Seule au centre de la plate-forme de présentation, elle eut pour seule réaction d’hausser un sourcil, septique. Claquement de talons, elle ragea jusqu’à son bureau et aperçut enfin le mot laissé sur sa porte, à l’endroit même où était placardé son nom, mot de la main de son père.

Journée maudite, la journaliste se glissa à l’étage inférieur où régnait l’effervescence qui manquait plus haut. On l’accapara dès que ses pieds foulèrent le sol et la maquilleuse la suivait déjà comme son ombre. Un technicien la para de son micro et du branchement nécessaire. Elle fut entraînée et délestée de sa veste. Elle fut entourée de toute part et directement, son esprit se brancha sur la chaîne « professionnalisme » et elle ne fit pas cas des mains qui se glissaient jusqu’à son pantalon pour y placer le récepteur microphone, ni de celles qui trifouillaient ses cheveux, de celles qui lui cachaient la vue pour lui appliquer un gel à durée indéterminée dont elle ne manquerait pas de se plaindre … le travail reprenait son importance dans une journée banale de sa vie et Iseult en oublia d’office les mésaventures précédentes, seul son père parviendrait encore à remettre son oubli sur le devant de la scène. Homme invisible dans les environs, elle n’y pensa pas plus et finit par s’avancer sur le plateau, prête pour le journal du soir. Elle ne connaissait pas le texte à dire certes, elle n’avait aucune idée précise de l’information à fournir ce soir mais ce n’était pas si important. Elle pouvait improviser. Elle était douée pour ça.

« Iseult ! » Le bruit de pas précipité la freina dans sa course vers la sortie. La journaliste venait de boucler l’émission et ne désirait que se retirer même si ce n’était que pour se diriger vers un bar qu’elle savait accueillant, à cette heure. Elle était de bonne humeur et voulait profiter de cela pour se détendre. L’interpellation lui laisse une impression de déjà-vu et elle se figea, attendant l’impact, soufflant un bon coup. « Papa ? » La bombe était lancée. « Tu es sûre que tout va bien ? » Etonnée par la question, Iseult en oublia de répondre. Elle s’attendait à tout : à une bonne paire de claque, à de fâcheuses remontrances ou même à une bonne boutade moqueuse mais certainement pas à de la considération. « Qui êtes-vous et qu’avez-vous fait de mon père ?! » Il la regarda, désespéré et en même temps, habitué. « Iseult … » La jeune femme ricana. « Ce n’est pas que je n’aime pas mon prénom, loin de là, seulement c’est la seconde fois que tu le dis et je vais finir par croire qu’on t’a remplacé par un cyborg qui ne sait dire que ce mot. » Décidant de ne pas se laisser atteindre par son père, elle préféra jouer les clowns railleurs, l’espace d’un instant. « Pour te répondre : tout va bien. » Tout de même touchée qu’il pose cette question avec naturel, elle lui sourit gentiment. « Tu sais que si quelque chose t’inquiète, tu peux m’en parler ? » La phrase partait d’un bon sentiment mais Iseult ne se méprit pas. Si elle venait à lui dire que son passé était la cause de son air maussade depuis quelques semaines, si elle venait à lui dire qu’elle avait un énorme ras-le-bol de ne pas se souvenir de nombreuses choses, il ne ferait que la faire piétiner plus encore. Son père ne voulait aucunement qu’elle se souvienne. Iseult ne lui dirait sans doute jamais que son amnésie creusait un trou de plus en plus profond, une plaie plus béante chaque jour dans sa vitalité et sa force. « Bien sûr. Mais il n’y a rien, je t’assure. » Se voulant ferme et sincère, elle accentua sa phrase d’un regard digne des plus grands menteurs tout en sortant du bâtiment. Cela parut suffire et il ne protesta pas, lui souhaitant une bonne soirée tandis qu’il se glissait vers son véhicule où un chauffeur l’attendait. Riche jusqu’au bout …

D’un mouvement vif, elle se retourna, surprise de sentir quelqu’un dans son dos alors qu’elle se dirigeait vers sa voiture. Observant légèrement l’inconnue qui lui faisait maintenant face, la jeune femme eut soudain la sensation d’avoir déjà connue une situation similaire sans parvenir à remettre des images dessus, comme un téléviseur qui donnerait le son mais pas les images … Un salut bien simple agrémentée de son prénom et la journaliste hésita encore. Surprise, étonnement et peur. La personne en face d’elle n’avait pas l’allure la plus rassurante et il se faisait tard, d’ailleurs peu de monde s’en apercevrait si elle venait à se faire agresser par la jeune femme et malgré tout, la curiosité sans doute, elle osa répondre à la marque de civilité.

ISEULT ▬ Euh … Est-ce que l’on se connaît ?

Haussement de sourcil interrogateur, elle préféra mettre les choses au clair de suite et se donner une contenance alors que le doute s’insinuait en elle et que la peur suivait le chemin.

ISEULT ▬ Je ne sais pas ce que vous voulez, je n’ai pas trop le temps … il est tard, je crois que je vais rentrer.

Amorce d’un mouvement vers sa voiture qui semblait encore bien loin. Peur irrationnelle. Fuir.

«Where have you been ?»
Iseult & Seven

L’incertitude, le doute, l’incompréhension. D’un air perplexe, Seven continuait de fixer celle qui avait été son amie, et qui semblait aujourd’hui ne pas la reconnaitre. Pourtant il ne s’était pas passé tellement de temps, du moins pas assez de temps pour qu’elle ne puisse plus mettre de nom sur son visage. La jeune fille aux cheveux sombres avait toujours été très physionomiste, elle avait pris l’habitude de tout décrypter, de tout analyser. Souvent seule, elle avait observé les autres, le monde extérieur, comme une spectatrice devant une représentation théatrale. Elle se souvenait étant enfant, que l’on ne lui avait jamais adressé la parole, alors pour s’occuper elle décelait les problèmes des autres, elle regardait les expressions sur leur visages, leur façon de se comporter, et elle s’en servait pour leur faire du mal lorsqu’ils s’attaquaient à elle. La petite Jandrik de huit ans avait bien remarqué à quelle point sa camarade adorait sa chevelure soyeuse, parfaitement coiffée, agrémenté de rubans roses et violets. Et elle avait prit un malin plaisir à y mettre le feu, lorsque cette dernière s’était moquée d’elle. En y repensant, elle aurait pu la tuer, premier meurtre à l’école élémentaire, cela sonnait comme le titre d’un mauvais film de série B. Donc, oui elle était sure et certaine de ne pas se tromper sur l’identité de son interlocutrice. L’avait-elle oublié ? Personne n’avait la mémoire aussi courte, surtout après les événements qu’elles avaient vécu ensemble.

Pendant un court instant la jeune femme ne bougea pas, restant ainsi planté là, la mine quelques peu surprise. Mais elle se vit contrainte d’insister, «  C’est pas vraiment drôle mais je vais mettre ça sur le coup de la surprise. », dit-elle avec un sourire amusé. La tueuse fronça à nouveau les sourcils lorsqu’Ainsworth lui demanda ce qu’elle désirait et lui annonça qu’elle n’avait pas le temps, avant de s’en aller. Seven serra les poings. Bien sur, elle était assez frustrée, pour une fois qu’elle se laissait aller à une marque d’amitié, on la rejetait, pour ne pas dire encore, comme une malpropre. Si Iseult avait peur des représailles ou des nouveaux ennuis que pouvait lui attirer Seven, il ne fallait pas qu’elle s’en fasse. Ce qu’elle voulait simplement, c’était prendre de ses nouvelles, et c’était très rare, venant de sa part. Avec une rapidité déconcertante, Seven barra la route de son amie, en se postant devant elle. « Tu sais si tu as peur d’avoir de nouveaux ennuis, t’inquiètes pas je ne suis pas ici pour une mission. Je préférerais même que tu me le dise franchement plutôt que de faire semblant de ne pas me reconnaitre. » Elle avait dit ça d’un ton qu’elle avait voulut rassurant, mais qui n’était pas du tout en réalité. Seven n’était pas douée en la matière et elle ne le serait probablement jamais.

Abandonné & verrouillé