croiser le fer avec un simple objet et se retrouver responsable d'une suicidaire
« dean & iseult »

La femme trébucha. Son énervement l'emporta au point de s'exprimer outrageusement fort. Trop soucieuse de savoir si quiconque avait pu remarqué son écart de conduite, elle tourna la tête de tous les cotés. Parfait, personne en vu. Elle n'aurait pas à soudoyer un malheureux passant pour qu'il oublie cette scène. Elle voyait le titre de dernière page du journal « people » d'ici : Iseult Ainsworth, la présentatrice du journal télévisé de dix-neuf heures sur la BTV, une valeur moins sûre après un passage au bar. Non vraiment mieux valait l'éviter, surtout que cela l'irriterait grandement, son père aussi et que ce n'était en rien la raison de son mouvement vers l'avant. D'ailleurs qu'était-elle cette raison ? D'un oeil mauvais, elle regarda derrière elle, au sol, pour apercevoir un malheureux petit objet sombre nonchalamment abandonné à son sort sur ce trottoir. Iseult pestait déjà contre le misérable propriétaire de la chose. Il avait failli lui couter sa crédibilité. Se baissant pour saisir ce qui ressemblait de plus en plus à un calepin ou un agenda, la jeune femme commença par vouloir l'envoyer en direction d'une poubelle non loin puis, la curiosité l'emportant, elle le prit à pleine main et l'ouvrit. Première page, son hypothèse fut confirmée, c'était véritablement un agenda. Un nom : Dean Bennett. Une adresse : 319, Alley Street. Pour connaître la ville comme sa poche, la brune pouvait certifier que l'énergumène vivait dans un immeuble. Enfin, ce n'était pas comme si l'information allait lui servir. Feuilletant ensuite le petit livret, elle se surprit à penser que ce Dean était un drôle de bonhomme. Il y avait plus de données révélant un propriétaire féminin que masculin pourtant, le nom ne pouvait qu'être celui d'un homme. Il y avait de quoi être confus. Évitant de trop y penser, elle regagna la tour de la BTV, elle n'avait pas fini le travail, elle était juste sortie prendre un café. Pourquoi avait-il fallu qu'elle percute l'objet sombre ? Se maudissant de son inattention qui lui avait valu une certaine honte et un café gâché, celui-ci ayant atteint le sol après le trébuchement, Iseult continua son chemin, l'objet toujours en sa possession. Elle déciderait plus tard de ce qu'elle en ferait. Pour le moment, elle se concentra sur sa route, refusant de nouveau d'être victime d'une crasse, même non intentionnelle. Qu'elle le croise un jour, ce Dean Bennett, il souffrirait d'avoir abandonné son agenda sur sa route !

Il devait être aux alentours de 14h30, et Dean ne savait plus quoi penser. Elle avait tenté en vain de joindre ses amis de Bristol, ce qui lui coûtait une fortune pour son abonnement téléphonique. Les messages qu'elle laissait sur le répondeur de chacun étaient presque identiques : "Coucou, c'est Dean, tu réponds pas... Détroit c'est pas aussi cool que prévu, vous me manquez, c'est horrible. Mon Job est pas mal... Si tu pouvais m'envoyer un mail pour que je te rappelle, comme ça t'as pas besoin de payer..." C'était toujours comme ça. Dean était adorable avec ceux qu'elle aimait, mais eux, en revanche, ne lui rendaient jamais la monnaie de la pièce. En réalité, Dean ne s'attendait pas à ce qu'elle ait un mail ou un message. Elle serait déjà morte étalée sur le sol après sa chute volontaire du haut de cette fenêtre.

En effet, celle-ci se tenait assise sur le rebord de sa fenêtre, le téléphone en main. Elle commença d'abord par lancer l'objet pour ne plus jamais pouvoir rappeler ses amis, qui ne pensaient pas une seule minute à elle. Elle ferma ensuite les yeux, laissant couler une larme et se leva doucement, elle s'apprêtait à sauter quand...

Toc toc toc !

Elle aurait très bien pu sauter de joie quand elle eut entendu une personne frapper à sa porte, mais les seuls qui se donnaient la peine de frapper chez elle étaient quelque vilains garnements qui couraient lorsqu'on ouvrait la porte. "Au revoir vous, vous qui occupez mes tristes après-midis et qui êtes les seuls à toucher ma porte." pensa-t-elle.

Toc toc toc !

Il fallait qu'elle ouvre. Mais elle ne le ferait pas. Si c'était vraiment important, si ça n'était pas les gamins, la personne finirait par ouvrir. Alors elle attendrait qu'elle parte pour sauter. Abandonner tous ces américains qui se font une joie de l'ignorer.

ISEULT • POUVEZ-VOUS OUVRIR S'IL VOUS PLAIT ? J'AI QUELQUE CHOSE POUR VOUS!

Ce quelque chose devait être une baffe pour avoir dévisagé la personne dans un bus, ou quelque chose dans le genre. Mais elle ne céderait pas, avant de mourir, elle ne voudrait certainement pas une claque. La claque, elle se la prendrait couchée sur le sol, inanimée.

Mais la porte s'ouvrit, à sa grande surprise.

Ce n'était pourtant pas difficile à comprendre. Il était juste question d'un maudit agenda mais, elle se sentait malgré tout obligée de le ramener à son propriétaire, un certain Dean ! Jamais elle n'aurait accepté telle action en temps normal. Elle aurait envoyé un assistant comme coursier. Pourquoi donc se déplaçait-elle en personne dans ce cas ? Sans doute parce qu'elle n'avait rien à faire aujourd'hui à la chaîne et qu'un petit « je ne sais quoi » attisait sa curiosité. Une curiosité peut-être indiscrète voire malsaine, comme la plupart du temps mais une curiosité qui allait la conduire à des rebondissements imprévus. Profondément irritée par cette curiosité qui la forçait à déambuler dans la ville, Iseult gravit les marches qui la conduirait au 319 de l'Alley Street, habitat de ce dénommé Dean. Sûre d'elle, la jeune femme toqua à la porte, son plan bien en place, décidée à aller contre sa curiosité. Elle ne se présenterait pas, sortirait juste le calepin, lui rendrait et repartirait aussi vite. Aucune raison pour elle de rester plus longtemps que cela … Une minute était passée, personne ne répondait. Elle soupira, tapa de nouveau contre la porte. L'homme ne l'avait sans doute pas entendue. Du son traversait pourtant la paroi, preuve que l'appartement était habité actuellement. Elle frappa encore une fois. Toujours rien. Elle jura. Elle n'avait pas l'habitude de devoir patienter. Si cela continuait, elle retournerait à la chaîne et le calepin se retrouverait dans la poubelle la plus proche ! Elle en avait même aperçue une en entrant dans l'immeuble … Laissant une dernière chance au malheureux, elle tenta le contact autrement :

ISEULT ▬ Vous pouvez ouvrir s'il vous plait ? J'ai quelque chose pour vous.

Ses doigts rencontrèrent de nouveau la planche de bois qui l'empêchait de passer. Ses phalanges commençaient à se faire douloureuses. Levant les yeux au ciel, exaspérée, elle mit la main sur la poignée et tenta de la tourner. Ce qu'elle faisait était à proprement dit illégal mais tant pis, elle n'allait pas rester planter devant cette porte, en possession d'une chose qui ne lui appartenait pas et dont elle était sûre de savoir la présence du propriétaire dans l'appartement. La porte s'ouvrit sans mal. Étonnée qu'il n'y ait aucun verrou d'aucune sorte, Iseult avança dans l'habitat. Elle se figea. Devant elle, une jeune fille, sur le point de se laisser glisser jusqu'aux abysses de la mort. Quelle veine ! Finalement, elle aurait mieux fait de ne pas saisir cet agenda. Jetant un regard à la pièce dans laquelle elle était, la jeune femme s'inquiéta de ne trouver là que des affaires plutôt jeunes et légèrement efféminée. Où était donc ce Dean ? Son regard se portant sur la jeune fille à la fenêtre, la révélation apparut.

ISEULT ▬ Vous comptez véritablement faire ça ? Vous savez qu'une fois en bas, vous n'aurez pas plus de forme que le steak dans votre assiette ?

Sarcastique et irritée. Iseult joua les femmes décontractée. Intérieurement, c'était le chaos. Si la jeune fille sautait. Elle risquait d'être soupçonnée d'aide au suicide ou même de meurtre qui sait. Et puis, elle avait suffisamment eu affaire aux policiers dans sa vie. Pas besoin d'une raison supplémentaire de séjourner dans leur poste. La brune se rapprocha de la fenêtre et se posa tranquillement contre le mur, toujours aussi sereine d'apparence, le regard vrillait sur le jeune fille.

ISEULT ▬ Ecoutez … Dean. Je peux vous appeler Dean ? Vous croyez vraiment que c'est la solution à tout problème. Un petit saut et tout est réglé. Et bien, allez-y dans ce cas, sautez mais ne vous attendez pas à ce que je regarde ailleurs, je compte bien voir cette fille pas courageuse pour un sous mettre fin à la vie qui lui était promise. Pas courageuse oui, vous êtes lâche de ne pas vouloir affronter la vie …

Dure et acide, toujours aussi calme. Elle espérait la persuader de redescendre de son perchoir et lui rendre son agenda avant de repartir à toute jambe. Néanmoins sur le qui-vive, prête à réagir et retenir la jeune fille en cas de chute, Iseult attendit une réaction.

•• A Bristol, Dean avait tenté plusieurs fois de mettre fin à ses jours. Pour diverses raisons, dont beaucoup qui étaient stupides (manque d'une personne, soit-disant insoutenable, sentiment de solitude...) et à chaque fois, c'était une personne qu'elle n'avait jamais vu qui venait l'aider. La première fois, c'était le gardien de l'immeuble d'en face qui l'avait aperçu et lui avait ordonné d'arrêter (intimidée, Dean obéit vite.). Une autre fois, c'était un éboueur qui lui demandait de faire ça une autre fois, parce que "elle atterrirait dans les sacs poubelles et ça éparpillerait des ordures partout, et ce serait difficile à nettoyer" (Dean eut pitié du métier que l'homme faisait.). Tout ça pour dire qu'elle n'avait jamais envisagé sérieusement de mettre fin à ses jours. Mais ce jour-là était différent. Elle était seule à Bristol, sans personne qu'elle connaissait, sans personne qui lui adressait la parole poliment. Elle avait déjà usé beaucoup d'argent pour ses études et son appartement, payer un billet d'avion serait de la folie. Et de toutes manières, tous ces amis la reniaient. Elle était pour une fois, belle et bien désespérée.

La jeune femme qui se tenait désormais adossée au mur qui soutenait la fenêtre semblait tellement froide et impassible. Dean aurait aimé être comme elle, avoir un cœur d'acier, qui ne craquerait pas pour rien. Allons bon, d'abord un gardien d'immeuble, ensuite un éboueur, et voilà une fille qui entre par effraction chez moi. pensa-t-elle. Cependant, elle avait pris le temps d'écouter ce que la personne lui conseillait de faire. Elle jeta un coup d’œil au dehors, et tout lui sembla étrangement distant et petit, elle eut le vertige, et très vite elle ne se risqua plus à regarder. Dean n'osait même pas répondre aux propos de la fille, elle ne connaissait pas son nom, elle était intimidée par autant de sang froid et ça la perturbait à un point.

DEAN • Je... Je... (elle hésitait) Mais.. Que ? Enfin je veux dire vous ? Vous savez ? Vous savoir le ... Nom de moi ? Enfin pardon, moi je ne...

Elle se perdait dans ses propos, elle n'arrivait pas à articuler et à se faire comprendre. Dean tentait désespérément de savoir le nom de l'inconnue. Elle scrutait la tenue de celle-ci, histoire de distinguer un quelconque badge ou autre. De plus, sa mystérieuse interlocutrice parlait de courage. Du courage. Elle n'en avait absolument aucun. Aucun. Même pas pour lui répondre. Suis-je bête, je saute et c'est fini. Pas besoin de me confronter à un dialogue impossible. pensa-t-elle encore.

Abandonné, verrouillé & archivé.