CAUSE WHEN ITS GOING GOOD ITS GOING CRAZY ϟ noah a. edgerton

Cigarette, canapé, jeux télés de mauvais goût. Cours, bien plus souvent que toutes ces conneries. Voilà ce qu'était le quotidien d'Evans ces derniers jours. Se laisser moisir dans son vieil appartement ; tel était son objectif à présent. Elle ne voulait plus sortir, ne sortait plus. C'était aussi simple que ça. Elle n'assistait plus à ses cours de médecine mais travaillait comme une acharnée chez elle. Tout ce qu'Eden voulait, c'était le calme, et la solitude. Choses qui lui avaient manquées ces derniers temps. Elle en avait eu assez de voir du monde, alors se terrait chez elle, mangeait quand bon lui semblait et ne changeait pratiquement pas de fringues. Parce qu'elle se sentait bien, là, emmitouflée dans sa couette, clope au bec et cours sur les genoux. Une loque humaine, voilà ce à quoi elle devait à peu près ressembler. Mais ce n'était pas important, ce n'était plus important. Elle laissait son esprit divaguer entre cartilages et muscles. Cela lui occupait les idées. Cela lui permettait de ne pas trop penser. Ne pas trop réfléchir. Afin d'oublier, aussi ambitieux cette idée soit-elle. Oublier le trentenaire cancéreux qui l'avait tant bouleversée quelques jours auparavant, même si elle n'avait pas encore réalisé à quel point cela avait pu être important pour elle. La brunette continuait de s'abrutir sous ses cours sous un faux prétexte, la réelle cause de cette folie studieuse étant cependant juste sous son nez. Elle fuyait, elle fuyait l'hôpital, les cours, l'odeur de désinfectant et les cinquième années excités d'entrer en internat. Elle fuyait tout cela car chacune de ces choses lui faisait penser à Edgerton, malgré tous ses efforts.
Sortant de sa muraille de couvertures, Eden écrasa son mégot de cigarette sur la table basse et se dirigea vers la cuisine afin de se préparer un café. Attendant que sa dose quotidienne de caféine soit prête, elle s'assit sur le plan de travail de la cuisine et posa son regard sur un papier de l'hôpital. Papier qui était destiné à Mr.Edgerton. Papier qui traînait chez elle depuis quelques jours déjà. Papier concernant la chimiothérapie. Elle ne s'était toujours pas décidée à l'apporter à Noah, elle n'en avait pas eu le courage, ni l'envie. Qui aurait eu envie de le revoir à sa place après tout ? Il l'avait embrassé, et s'était excusé. Puis avait pris la fuite. Parce que c'était plus facile. Cependant elle ne pouvait pas le blâmer pour cela car à présent, elle était probablement la seule fuyarde de toute cette histoire. Lui avait du faire comme si rien n'était arrivé, et reprendre le cours de sa vie - presque - normalement. Parce que c'était comme ça que les gens normaux agissaient. Et surtout parce que les choses devaient se terminer ainsi, sans un mot ni une explication. C'était probablement la meilleure chose à faire, cependant Evans le savait bien, ce foutu papier, elle devrait bien le lui apporter. Et au plus vite de préférence.
Dans un élan de courage, elle se leva sans prendre le temps de terminer son café et sortit de son appartement, le papier à la main. Le déposer devant la porte, puis repartir. C'est ce qu'elle voulait faire.
La jeune étudiante arriva devant l'appartement d'Edgerton, déposa le papier sur le paillasson et resta là, sans bouger, quelques secondes. Hésitante. Non. Elle ne devait pas frapper. Elle ne frapperait pas, elle ne toquerait pas. Elle ne voulait pas le voir. Trop tard. À peine avait-elle cessé de réfléchir que son poing toquait doucement contre la porte de l'avocat. Se maudissant, elle croisa les bras sur sa poitrine et baissa la tête en attendant que la porte s'ouvre. Elle devait être très jolie, là, avec son pull trop grand et son pantalon troué. Tout à fait présentable. Stupide, elle était stupide, pourquoi avait-elle toqué ? Il ne méritait pas qu'elle lui accorde de l'importance, il ne méritait pas qu'elle prenne de son temps pour lui, il ne méritait même pas qu'elle lui dépose ce foutu papier ! Eden Suzanne Evans était la gentillesse incarnée, et, elle le savait. Un jour, cette " qualité " la tuerait.
Lorsque la porte s'ouvrit, elle redressa un peu la tête afin de pouvoir apercevoir le visage d'Edgerton. Il semblait fatigué, lui aussi. Pointant du doigt le papier encore posé sur le paillasson elle se justifia maladroitement, les joues un peu rouges.

- Tu sais c'est un papier pour l'hôpital et... Et j'devais te le ramener rapidement. Ca faisait quelques jours qu'il était chez moi mais... mais... je sais pas... J'avais oublié ! Alors voilà je voulais te le déposer discrètement sur le bah... sur ce paillasson et repartir tranquillement mais j'ai voulu prendre de tes nouvelles en passant... enfin, tu comprends.

Elle avala sa salive et redressa encore un peu le visage, tout juste assez pour à présent faire face à Noah. Il allait se moquer d'elle, ce n'était pas possible qu'il réagisse autrement. La justification donnée n'était pas du tout crédible de la part d'Eden, elle qui était en temps normal très ordonnée.
Cependant aussi étonnant que cela puisse paraître, Evans était réellement contente de le voir. Parce qu'au fond, même si c'était lui qu'elle fuyait, il était aussi la personne qu'elle avait eu le plus envie de voir dernièrement. Sans toute cette ambiguïté et ces atmosphères pesantes, bien entendu. Mais en quelque sorte, elle s'en rendait compte sur le seuil de la porte du loft d'Edgerton : il lui avait manqué.

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Trente ans. Cancéreux. Lâche. Un peu trop dépressif ces derniers temps. Doté d'une tendance certaine à l'auto-destruction, c'était certain maintenant. Et aussi du talent incroyable de toujours faire du mal aux gens qu'il appréciait, depuis quelques temps... Et aussi, il était beaucoup trop sensible aux films qu'il regardait depuis bien avant l'aube. Le portrait mental que faisait Noah de lui-même en cet instant n'avait pas grand-chose de valorisant. En même temps, il avait un peu le moral dans les chaussettes en ce moment. Peut-être un effet pré-chimiothérapie. Au moins, commençait-il à arrêter de se résigner face à cette saleté et se dire qu'il devait se battre pour lui-même, et pas que pour cette petite soeur à qui il n'avait plus adressé la parole depuis deux ans. Il s'était réveillé avec une violente quinte de toux vers trois heures du matin, cette nuit. Alors il n'était pas retourné se coucher. Et le marathon des films en tout genre avait commencé. Fight club, The Notebook, Brokeback Mountain, Une éducation, Lars and the real girl, Gladiator, Batman Begins, (500) Days of Summer et Finding Neverland formaient une pile de boîtes de DVDs au pied de son canapé. Il avait dû traverser la plupart des styles ou presque en une journée, c'était certain. Il avait surtout dû utiliser tout son stock de gorges serrées et de "NAN PAS ÇA!" pour l'année. Pelotonné dans une couverture sur son canapé, le paquet de cookies un peu plus loin, on ne pouvait que se demander où le Edgerton si charismatique et déterminé s'était évadé. On toqua doucement à sa porte. Il releva le nez et mit en pause Neverland. Il quitta son canapé, abandonnant sa chère et tendre couverture, et traîna un peu des pieds jusqu'à sa porte. En t-shirt et jean, parce qu'il avait quand même eu un peu la décence de plus ou moins s'habiller comme si la journée allait suivre un cours normal, il ouvrit la porte. Et ses yeux rencontrèrent ceux d'Evans.

Cette fois, ce n'était pas un film qui lui serrait la gorge. Mais juste de la voir, là, bafouillant presque sur le pas de sa porte. Il baissa les yeux et se pencha pour ramasser le dit-papier. " ...Merci. " Un petit mot, le premier qu'il lui disait depuis qu'il l'avait laissé dans son appartement, tout deux plus perdus et incertains que jamais alors. Il releva ses yeux bleu-verts. Qu'avait-elle pu croire sur son cas, qu'il avait repris le train-train quotidien, comme si rien n'était jamais arrivé ? Il n'avait même plus de train-train, même plus de quotidien. Et de toute façon, il n'aurait pu le rendre ainsi. Il parcourut rapidement le papier du regard. Ah, quand on parlait de quelque chose... Chimio'. La date fatidique de la première fois où on le brancherait se rapprochait. Et quelle douce ironie, de savoir qu'Hesther devait accoucher à peu près à la même époque que lui devait commencer officiellement son combat pour sa survie. "... Rentres, tu vas pas rester comme ça sur le pas de ma porte. " Il esquissa un sourire. Il ne voulait pas cultiver d’ambiguïté. Il se dégagea de l'encadrement de la porte de son loft pour laisser entrer Eden. Elle semblait avoir parfois du mal à joindre les deux bouts, il vivait largement mieux qu'elle. Elle, Eden, avec son jean troué et son pull trop grand. Lui, Noah, avec son t-shirt et son jean piochés au hasard dans sa commode. Une belle paire de gens parfois un peu trop gentils...► CAPTAIN CORNFLAKES

Noah A. Edgerton & Eden S. Evans

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Et leurs yeux se rencontrèrent. Eden baissa la tête presque simultanément, toujours aussi déstabilisée face à Edgerton. Il écouta attentivement ses justifications, ramassa le papier en question et attendit un peu avant de simplement la remercier. Elle acquiesça en souriant légèrement, et garda les bras croisés, pressant la manche de son pull entre son pouce et son index afin de tenter de se détendre, juste un peu. Et de faire comme si de rien n'était. C'était le plus important. Il lui demanderait peut-être comment elle allait puis la jeune femme serait libre de repartir chez elle se bourrer le crâne. Et tout s'achèverait ainsi. Tout du moins c'était ce qu'elle espérait naïvement.

- ... Rentres, tu vas pas rester comme ça sur le pas de ma porte.

Loupé. Elle redressa la tête, il lui sourit et se décala un peu afin de la laisser passer. Eden pénétra lentement dans le grand loft d'Edgerton. Curieuse, la jeune femme regarda autour d'elle, et il était clair que Noah vivait bien. Beaucoup mieux qu'elle en tout cas. Son métier devait probablement lui rapporter bien plus que les petits boulots qu'elle enchaînait. Lui avait déjà sa place, Evans, elle, cherchait encore à la trouver. Et dernièrement elle ne savait plus vraiment où se mettre, mais les propos de Cassidy l'avaient fait réfléchir. Au fond peut-être qu'elle ne devait pas continuer médecine. Peut-être que ce n'était simplement plus fait pour elle. Peut-être qu'elle avait changé et qu'aujourd'hui, le mieux pour elle était d'évoluer dans un autre milieu. Seulement lequel ? La brunette qui n'avait jusque là jamais osé remettre ses choix en question était totalement perdue, mais cela, elle le gardait pour elle. Afin que personne n'altère plus son jugement. Elle avait toujours été seule maître de ses décisions jusque là, et ne souhaitait pas que quelqu'un d'autre s'en mêle. Personne n'était mieux placé pour savoir ce qui lui correspondait, et après des années d'ignorance elle l'avait enfin compris.
Elle avança timidement jusque dans le salon et se retourna en attendant Noah.

- Tu sais j'étais juste venue te déposer un papier. Tu es sûr que je ne te dérange pas ? Je peux repartir sinon.

Eden s'appuya contre un mur de la pièce en regardant toujours Edgerton. Lui aussi semblait à la dérive dernièrement, mais il avait une raison valable. Son cancer. Qui chaque jour devait le fatiguer un peu plus. Evans qui n'avait jamais été atteinte d'une grave maladie ne devait sûrement pas comprendre à quel point celle-ci devait l'exténuer. Cependant elle savait très bien ce que c'était de se sentir affaibli chaque jour un peu plus, tout du moins moralement. Se sentir crever chaque jour un peu plus, oui, elle pensait savoir ce que c'était. Encore aujourd'hui elle peinait à se regarder dans un miroir. Personne n'était au courant à Détroit, et personne ne devait le savoir. De la pitié elle en avait assez reçu, et jamais personne ne pourrait réellement comprendre ce qu'était cette douleur qui lui lacérait le coeur à chaque fois qu'elle y pensait. Malgré tous ses efforts l'oubli intégral de ces souvenirs n'avait été possible, et parfois elle se surprenait à éclater en sanglot sans aucune raison. Simplement parce qu'elle se rappelait. Si certains essayaient de garder précieusement les passages de leur enfance en mémoire, elle, n'était en rien nostalgique. Car ces souvenirs étaient probablement la cause de ses plus grands maux. Si ce n'était Ezra, rien ni personne de son passé ne lui manquait. Si ce n'était Ezra, elle ne regrettait personne. Son jumeau, son sang. Et probablement la seule personne qu'elle ait réellement aimée. Lui seul avait su lui apporter quelques doses de bonheur à l'époque, et lui seul saurait probablement encore le faire aujourd'hui. Du moins c'est ce qu'elle avait pensé jusque là. Mais Noah et sa gentillesse inégalée lui avaient prouvé le contraire. En effet, elle était capable de s'attacher aujourd'hui. Et sûrement bien plus qu'elle ne l'aurait souhaité.
Stoppant subitement ses pensées, Eden laissa traîner son regard sur toute la pièce. Rideaux fermés, DVDs empilés près du canapé, télé allumée, paquet de gâteau ouvert. Elle en était sûre Edgerton avait passé sa journée à regarder des films, ce qui amusa légèrement la jeune femme. L'imposant avocat qu'il était semblait bien moins impressionnant dans ce contexte. Elle tourna à nouveau la tête vers lui, et esquissa un sourire.

- Tu fais le marathon du film ? Tu devrais sortir tu sais, voir du monde. C'est mieux pour le moral.

Et c'était elle qui lui conseillait cela. Elle qui depuis des jours ne voyait personne et ne mangeait presque plus. Elle qui était asociale sur les bords et bien trop indépendante. Elle et ses insomnies. Elle et son jean troué, elle et son gros pull. Elle et ses heures à réviser ses cours. Elle et sa fuite. Elle et sa crainte de revoir Edgerton. Crainte qui s'était déjà évaporée.

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Noah referma la porte et regarda Eden qui s'avançait presque de façon hésitante dans le loft du Edgerton. Il se grattait doucement la nuque d'une main quand il la rejoignit. " Tu fais le marathon du film ? Tu devrais sortir tu sais, voir du monde. C'est mieux pour le moral. " Noah ne savait pas vraiment si il pouvait encore la regarder, comme ça, en face, quelle attitude adopter... Il esquissa un mince sourire, et se mordilla rapidement la lèvre inférieure avant de répondre : " ... Entre autre. " Pas de réflexion sur ce qu'elle avait dit par rapport au fait qu'il n'avait pas réellement mis le nez dehors depuis une semaine, facilement. Il posa son regard sur l'écran de sa télévision, figée sur une monde merveilleux naissant dans l'esprit d'un grand enfant...

Il fit un infime mouvement pour se remettre les idées en place. Eden. Il reposa ses yeux bleu-verts sur elle. Quelle image pouvait-il donner, celle d'un raté au bord de la crise de nerfs, peut-être. D'un homme qui se recroquevillait sur lui-même pour parer les coups... Il était ça, et en même temps, il ne l'était pas. Qu'importe. Un blanc, un silence gêné, sans qu'il ne s'en rende réellement compte, s'était glissé entre Edgerton et Evans. Il fallait croire que c'était vraiment une obligation chez eux. C'était presque une habitude, à force. " Hum... Tu vas bien ? " Fait numéro un : C'était la première question qui lui était venue à l'esprit. Fait numéro deux : C'était banal au possible. Fait numéro trois : Il voulait réellement savoir comment elle allait. Vraiment. Le naturel revenait au galop. Et Noah, l'homme qui en faisait toujours trois fois plus que les autres, était presque en manque de bonnes actions. Le sourire qui éclaira son visage à la suite de sa question était sincère. Totalement sincère. Noah, même à des kilomètres de sa famille (Soit dit-en passant, le mot famille n'incluait plus son père, il avait une dent contre lui, pour de vrai, désormais), resterait toujours le même... Un nounours. Oui, il était un gros nounours, une grosse peluche qui ouvrait les bras à quasiment tout le monde, juste pour le plaisir de faire plaisir. En même temps, qu'y pouvait-il ? Il avait tout en lui qui le rendait horriblement rassurant, oui. Enfin bref. Noah, même avec un cancer, resterait toujours Noah, et puis ce serait tout.

Spoiler:

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- ... Entre autre.

Aucune remarque sur sa solitude passagère. La jeune femme venait probablement de toucher un point sensible. Ou peut-être tout simplement qu'il n'avait pas envie de répondre. Eden se mordit la lèvre et baissa la tête. Non, il n'y avait décidément rien à faire. Ils se retrouveraient toujours au même point : quelques phrases lancées dans le vide, un sourire gêné, puis un silence pesant. Silence qui s'installait vicieusement, s'immisçant entre les sous-entendus et les non-dits. Silence qui reviendrait toujours tant qu'ils n'auraient pas réellement parlé. Et ils étaient là comme deux idiots à tourner en rond, à essayer de combler les blancs et de faire comme si de rien n'était. Parce que visiblement pour le moment, rien ne devait être. Eden inspira profondément et redressa le regard vers Edgerton, juste avant qu'il ne reprenne.

- Hum... Tu vas bien ?

Question stupide. Elle aurait eu envie de lui répondre " Oui je vais bien, depuis que tu m'as embrassé et que tu t'es barré comme un lâche. " Mais elle n'en fit rien, bien trop timide pour cela. Non elle n'allait pas bien. Elle se terrait depuis une semaine chez elle. Parce qu'elle n'avait plus envie de sortir. Parce qu'elle était totalement paumée. Parce qu'elle était à présent toujours sur ses gardes, encore plus méfiante qu'auparavant. Une fois, elle aurait essayé. De se laisser aller, juste un peu. Et voilà à quoi elle en était réduite aujourd'hui ; fuir. Encore plus qu'avant. Retranchée chez elle telle un ermite, s'assommant sous des tas de choses dont elle se souciait pourtant peu, pensant que cette fois-ci ses études pourraient encore l'aider à passer à autre chose. Elle planta ses yeux bleus dans ceux d'Edgerton et répondit avec peu de conviction.

- Oui, ça va. Et toi ?

Ses yeux, ses cernes, sa mine grisâtre et ses vêtements disaient le contraire, et Noah devait le savoir. Il l'avait sûrement questionnée par pure politesse, s'attendant peut-être à ce qu'elle éclate en sanglot dans ses bras. Non. Elle n'était pas de ce genre. Elle avait l'habitude de retenir ses larmes dans des situations bien plus délicates que celle-ci, et surtout, elle n'avait pas craqué ces derniers jours. Pas une seule fois. Ce n'était pas maintenant qu'elle allait se laisser aller. Evans était toujours dans la retenue, incapable de laisser ses émotions la guider. Bien trop trouillarde pour cela en fait. Eden faisait parti de ces gens qu'on appelait bien souvent " les coincés ", ceux qui, à priori loupaient leur vie. Ceux dont la plupart des gens se moquaient. Déjà au lycée elle avait été fichée comme l'intello. Celle qui réussissait tout, et ne parlait jamais. Bien des fois elle s'était retrouvée dans des situations humiliantes causées par ses " camarades ". Et à l'époque elle avait simplement fait abstraction, de temps à autres défendue par une âme charitable telle que son frère, ou Ethan. Ethan qui avait été le seul au courant. Ethan qui lui aussi lui manquait. Elle avait perdu contact lorsqu'il était parti de Londres, et l'avait regretté, car Sanders avait bien souvent été là pour elle, et elle le lui avait bien rendu. À croire que la jeune étudiante en médecine avait un don pour perdre les hommes auxquels elle tenait. Son père, Ethan, Ezra, et aujourd'hui Noah. Chacun d'eux avaient pris la fuite, volontairement ou non. Et ils lui manquaient terriblement.
Sauf Edgerton, qui lui était toujours face à elle. Même si l'ambiance était pesante, même si elle lui en voulait, même si ils avaient merdé. Elle se le promit, jamais elle ne le laisserai partir. Pas un de plus, et surtout, pas lui. Cet imposant avocat, qui en réalité était un nounours adorable et surtout maladroit. Cet imposant avocat avec qui elle se sentait bien. Cet imposant avocat atteint d'un cancer, chose qui était malheureusement (ou heureusement) cause de leur rencontre. Cause de leurs au revoir aussi, peut-être. Non. Ne pas penser à ça, tout ira bien. Pas encore cette fois-ci.
Eden laissa son regard traîner sur le sol et murmura inconsciemment d'une voie à peine audible.

- J'suis vraiment stupide.

Elle s'appuya contre le mur derrière elle et ferma les yeux quelques secondes. Juste pour stopper cette machine infernale, pour prendre une pause. Non rien n'allait. Tout commençait encore mal. Tout allait encore terminer mal, puisque jusqu'ici il en avait toujours été ainsi. Eden Suzanne Evans était une catastrophe ambulante, s'arrangeant toujours pour tout faire foirer. Au fond le problème, c'était peut-être elle, et pas les autres.

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La réponse, il s'y était attendu. Quand on demandait à quelqu'un si ça allait, qui avait déjà eu comme réponse : '' Non, ma vie est un foutoir complet et y'a même plus de Pim's dans la boîte à gâteau '' ? Noah le savait, ça se voyait. Eden était à la dérive. Tout autant que lui, si ce n'est plus que lui, en fait. Mais elle lui retournait la question. Est-ce qu'il allait faire pareil, instinctivement, dire que tout allait bien dans le meilleur du monde alors qu'il ne sortait plus de chez lui depuis une semaine et ne savait pas si il devait s'impatienter ou redouter le processus qui s'enclencherait dans quelques semaines. « J'ai mes deux bras, mes deux jambes, et j'arrive encore à parler. Je pense que ça va alors. » Le petit sourire narquois qui s'était glissé sur ses lèvres le collait de plus en plus souvent à la peau. C'était pas son genre, de se foutre de la gueule du monde et de faire grincer les dents. Mais peut-être que c'était une nouvelle technique de défense que son corps adoptait de mieux en mieux depuis l'annonce de son cancer. Il déglutit et se gratta l'arrière de la nuque, n'osant pas la regarder. Ils étaient bien, comme ça. Edgerton étouffa une petite quinte de toux. Ça, c'était rien, c'était devenu son quotidien. C'était pas comme celles qui parfois le prenaient et le faisait presque perdre pied, réellement comme au sens figuré. Et merde. Je suis vraiment.. « … stupide. » Noah s'arrêta, un instant. Il releva les yeux et posa son regard bleu-vert sur Eden. À croire qu'ils étaient synchrones, c'est ça ? Il fallait clairement qu'il se retienne. Parce que la voir, ainsi, sous son nez.. Il n'aurait aimé qu'une chose. La prendre dans ses bras. Peut-être lui dire que tout irait bien, même si il n'en savait rien. Tout n'irait peut-être jamais bien, de toute façon. Il ne savait pas si il allait crever ou non à cause de ce fichu truc, et il ne connaissait pas la vie d'Eden, mais pour tous, c'était la même rengaine. Se persuader que tout allait rentrer dans l'ordre quand les choses s’aggravaient de jour en jour. « … Eden. » Il ne supportait pas de faire du mal, ou de voir les gens souffrir autour de lui. Il avait tout raté, mais il voulait se rattraper, racheter ses fautes.

Alors tant pis. Tant pis si Eden le repousserait, ou quoi que ce soit. Un pas, se rapprocher d'elle. Il tendit fébrilement la main, et toucha du bout de ses doigts tremblants la joue d'Evans. Pourquoi ça lui mettait à lui aussi les larmes aux yeux, ça ?! Il devenait un peu trop sensible, il perdait le contrôle de lui-même au fur-et-à-mesure que la maladie le rongeait. Mais surtout, surtout, il ne voulait pas qu'Eden souffre de quoi que ce soit. Il savait qu'il avait fait souffrir bien des gens. En partant, premièrement. Et maintenant, dans cette nouvelle vie, en leur apprenant que oui, il était atteint d'un cancer. Et que oui, sa vie aussi était en jeu dans cette histoire. Noah n'osait en faire plus. Comme si tout ça lui faisait peur. Et puis, peut-être qu'il ne faisait que rêver, et que l'étreinte des méandres de son esprit endormi allait se briser, et qu'il se réveillerait, seul, excessivement seul. « Je suis pas doué pour m'occuper des gens, en réalité. J'ai fait plus du mal que du bien ces derniers temps. Mais.. Mais Eden.. J'veux pas que tu souffres, toi. On a laissé un gros doute s'installer cette semaine, j'ai laissé un gros doute s'installer en une semaine. Dis-le, dis-le que tu veux que ça soit fini, classé, si ne plus me voir pourrait t'éviter de souffrir... » Il se mordit la lèvre inférieure. Avocat charismatique le jour, plus qu'un homme qui ne savait pas réellement ce qu'il devait faire en dehors de ça. Il déglutit. Peut-être que ça lui ferait mal, à lui, de ne plus la voir. Mais qu'importe. Il n'en était plus à ça près.► CAPTAIN CORNFLAKES

Noah A. Edgerton & Eden S. Evans

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Elle ne répondit pas à la remarque sarcastique d'Edgerton. Il n'y avait rien à répondre. Il se mentait à lui-même, utilisant l'humour afin de mieux se protéger. Elle savait très bien que cela n'allait pas. Comment es-ce qu'il aurait pu aller bien, avec une connerie pareil ? Il devait chaque jour, sentir que sa force le quittait, et remarquer qu'il peinait de plus en plus sur des tâches pourtant quotidiennes jusque là. Non ça n'allait pas. Ils n'allaient pas bien. Et ils se voilaient la face.
Eden garda les yeux fermés, longtemps. Parce qu'elle se sentait mieux ainsi. Elle pouvait échapper à la réalité, ne pas la voir, et en conséquence, penser à autre chose. Échapper à certaines fatalités. La jeune femme recroisa les bras sur sa poitrine, et respira profondément. Tout s'achèverait bientôt, tout rentrerait dans l'ordre. Il devait en être ainsi. Juste une fois. Le bon dieu lui devait bien ça, après tout ce qu'il lui avait déjà pris.

- Eden...

Et l'avocat s'approcha d'elle, un peu. Juste assez pour qu'elle entende sa respiration. Les yeux toujours fermés, elle sentit ses doigts tremblants venir effleurer sa joue. Mâchoire crispée, poings fermés, elle se mordit la lèvre et sentit son coeur prendre un rythme effréné. Que pouvait-elle faire à présent ? Evans aurait souhaité avoir assez de force pour le repousser, juste une fois. Lui montrer qu'elle n'était pas acquise, et surtout, contrôler la situation. Parce que jusque là avec Noah, elle en avait été incapable. Elle ouvrit enfin les yeux, plantant ses deux iris bleus dans le regard d'Edgerton, qui semblait aussi troublé qu'elle.

- Je suis pas doué pour m'occuper des gens, en réalité. J'ai fait plus du mal que du bien ces derniers temps. Mais.. Mais Eden.. J'veux pas que tu souffres, toi. On a laissé un gros doute s'installer cette semaine, j'ai laissé un gros doute s'installer en une semaine. Dis-le, dis-le que tu veux que ça soit fini, classé, si ne plus me voir pourrait t'éviter de souffrir...

Trop, s'en était trop. Toujours muette, la petit brune laissa une larme couler. Puis deux, puis trois, essayant cependant de garder son calme. Non, bien évidemment qu'elle ne voulait pas que ce soit fini. Après une semaine sans le moindre contact voir ainsi Noah face à elle la bouleversait littéralement, et elle n'était pas dans la capacité de lui répondre, parce qu'elle-même ne le savait pas.
Eden attrapa la main d'Edgerton dans la sienne et la retira lentement de sa joue. Non. Ne pas s'attendrir, pas cette fois encore. De sa main libre, elle essuya les quelques larmes qui roulaient encore sur son visage et tourna la tête afin d'éviter le regard de Noah. Tout en essayant de garder son calme, elle articula de sa voix tremblante.

- T'as... T'as pas le droit de faire ça, c'est égoïste et je... j'suis paumée... Quant au fait de... de m'éviter de souffrir, c'est loupé... pour le coup. Je sais même pas ce que je fous ici.

Elle avait achevé sa phrase avec un peu plus de conviction. Parce que jamais elle n'aurait du entrer dans ce foutu appartement, jamais elle n'aurait du frapper à sa porte et jamais elle n'aurait du ne serait-ce qu'imaginer que tout se passerait simplement. Rien n'était simple, telle était la dure réalité, et Evans venait de rendre les choses encore plus compliquées qu'elles ne l'étaient déjà. Au fond tout ce qu'elle souhaitait, c'était qu'il ne la laisse pas s'en tirer ainsi.
Réprimant quelques derniers sanglots, Eden lâcha la main de Noah et avala sa salive avant d'inspirer profondément. Respirer, se calmer, et tout rentrerait dans l'ordre cette fois-ci. Si la jeune étudiante en médecine était bien souvent fataliste, elle osait cependant espérer qu'elle sortirait indemne de cet appartement. Ni plus blessée qu'avant, ni moins. Tout du moins c'est ce qu'elle souhaitait.

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ITS GOING CRAZY

« T'as... T'as pas le droit de faire ça, c'est égoïste et je... j'suis paumée... Quant au fait de... de m'éviter de souffrir, c'est loupé... pour le coup. Je sais même pas ce que je fous ici. » Certains mots pouvaient blesser Noah au plus profond de lui-même. Dans tout ces mots qui avaient été prononcés par Eden alors qu'elle reprenait des airs plus convaincants, il y en avait un qui venait de mettre Noah à terre. Un seul mot, insignifiant. « Égoïste ? Égoïste ? Tu ne peux.. Tu ne peux pas dire ça ! Je ne suis pas comme.. » Il s'était figé alors que les mots passaient la barrière de ses lèvres et que son regard brillait de cette colère sourde et désespérée qu'il se traînait depuis des semaines entières. ..Comme mon père. Un peu plus et il avait terminé à voix haute sa phrase. Son père. S'être éloigné de lui, et réellement libéré de la moindre emprise qu'il aurait encore pu avoir sur lui, avait fait naître un sentiment de haine en Noah. De la haine, oui. Avant, il ne s'était jamais permis de se l'avouer. Qu'il y avait eu tant de fois où il avait détesté son père plus que tout au monde. Noah se mordit la lèvre inférieure et fourra ses poings dans les poches de son pantalon, se détournant d'Evans. Il était là, à regarder l'image sur son téléviseur sans la voir, faisant quasiment dos à la jeune femme. « Ne dis pas ça, s'il-te-plait. » Il ferma les yeux, tentant de se calmer, à l'intérieur. Il reprit, la voix écorchée par ces milliers de choses qu'il gardait en lui : « Si je vais mal, on ne peut pas nier que tu n'es pas mieux que moi ! - Il s'était retourné, et avait planté son regard bleu-vert dans les deux lacs glacés qu'étaient les yeux d'Eden - Et ne dis pas que je suis égoïste... J'ai l'impression d'avoir perdu toute utilité. Je ne suis plus qu'une loque qui déprime en regardant des films, blotti dans sa couverture. Je suis plus rien... Tout ce que je pensais savoir, tout ce que je croyais savoir... C'est remis en question. Encore. » Encore. Mot de trop. Mot qui était sorti de sa gorge avec une amertume prononcée. Encore. « Je suis plus rien mais je fais du mal. À toi, à moi-même, à tout le monde. » Edgerton se prit le visage dans les mains, un instant, et puis poussa un léger soupir.

Noah commençait à avoir des airs de lion en cage. Force de la nature réduite à néant, n'être qu'une attraction de plus pour ces pauvres âmes qui prendraient la peine de le regarder. Ce vieux lion-là, oui. Parce que comme la bête l'aurait été, Noah semblait avoir besoin de calme, d'un vrai sommeil. De manger plus, peut-être aussi. Une semaine que les repas n'avaient plus beaucoup de sens pour lui. Alors qu'il aurait dû tout faire pour emmagasiner des forces avant que son réel combat ne commence, il semblait presque se laisser dépérir. Il ne voulait pas abandonner face à la saleté qui le rongeait. Mais il abandonnait face à ce monde, au dehors, ce monde qui l'entourait. Il avait à moitié commencé à faire les cent pas. Nerveux, à bout (de force, peut-être ajouterons-nous). Il se laissa comme tomber au pied de son canapé, remonta les jambes vers lui-même, passa ses bras autour et posa son menton par-dessus le tout. Ne pas regarder Eden. Ou il perdrait pour de bon le peu qu'il lui restait encore. « Je sers plus à rien. Rien. »

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« - Égoïste ? Égoïste ? Tu ne peux.. Tu ne peux pas dire ça ! Je ne suis pas comme.. Ne dis pas ça, s'il-te-plait. »

Il s'était figé suite à ses mots. Eden le regardait toujours, ses deux yeux bleus plantés dans les siens. Yeux qui peu à peu se teintaient de colère, pour l'un comme pour l'autre. Yeux encore humides. Yeux qui traduisaient encore une fois bien plus que de simples mots. Evans venait de toucher un point sensible sans le savoir. Face à la réaction de Noah, elle se mordit la lèvre et baissa la tête. Elle qui haïssait faire du mal aux autres à présent se haïssait elle-même. Elle se tut quelques secondes, pleines de remords, puis s'avança un peu vers Noah qui à présent était presque dos à elle. La petite brune posa une main sur son épaule et ajouta à mi-voix.

« Ecoute Noah, j'suis...
Si je vais mal, on ne peut pas nier que tu n'es pas mieux que moi ! »

Elle n'eut pas le temps d'achever sa phrase. Edgerton venait de lui couper la parole. Dès que ces mots eurent franchi la barrière de ses lèvres, elle se recula brusquement, à nouveau envahie de colère. Comment pouvait-il dire cela ? Il était le seul responsable de ce qu'elle ressentait aujourd'hui et il osait encore le remarquer ? Si seulement il avait su qui elle était, ce qu'elle voulait, et ce qu'elle regrettait.
Respiration anormalement rapide. Larmes involontaires. Coeur en miettes. Sanglots bruyants. Eden craquait. Elle fut prise d'une violente crise d'angoisse et tira ses cheveux en arrière, tentant tant bien que mal de se calmer. En réalité, elle n'y pouvait rien. La jeune femme n'était plus maître d'elle même, il fallait que tout cela sorte. Juste une fois. Elle avait simplement envie de pleurer, frapper, ou crier. De s'exprimer. Rien qu'une fois. Telle une gamine capricieuse. Si seulement cela n'avait été que cela. Après tout les efforts qu'elle avait fait jusque là, Noah venait de la faire lâcher prise. Pas seulement par ses mots, mais aussi par sa personne. Car si elle osait montrer cette facette de sa personnalité à quelqu'un, c'était bien lui. Maintenant il saurait, que tout n'était pas aussi simple. Que rien ne l'avait jamais été au fond.
Eden glissa ses deux paumes sur ses tempes, toujours en pleurs, la vue brouillée et l'esprit embrumé. Tout finirait par s'effondrer. Tout l'équilibre qu'elle avait réussi à garder jusque là risquait de vaciller. Au fond elle l'avait toujours su, mais ne se l'était jamais avoué. Par espoir. Parce que c'était tout ce qu'il lui restait, un peu d'espoir. Ce qui la maintenait dans un rythme à peu près correct. Ce qui l'aidait. Espérer. Mais quel mot à la con. Ne jamais espérer. Ne jamais rien attendre de la vie. Parce que quoi qu'il arrive, un jour ou l'autre, tout reviendra en masse. D'un seul coup. Telle une maladie incurable, le passé traîne derrière chacun de nos pas, se cache dans l'ombre de chacun. Et attaquera, un jour, sans raison, sans prévenir, sans alarme ni sans frapper. Il entrera dans notre coeur bien plus facilement que nous ne l'avons fait sortir. Et rira bien dès qu'il arrivera à faire naître une larme. Rien qu'une seule. Signe de sa victoire. Signe de notre défaite. Signe de celle d'Evans.

« Et ne dis pas que je suis égoïste... J'ai
l'impression d'avoir perdu toute utilité. Je ne suis plus qu'une loque
qui déprime en regardant des films, blotti dans sa couverture. Je suis
plus rien... Tout ce que je pensais savoir, tout ce que je croyais
savoir... C'est remis en question. Encore. »

Elle redressa un peu la tête, les yeux rouges et gonflés, les joues humides, des sanglots la secouant toujours de temps à autre. Il était assis près du canapé, presque aussi désorienté qu'elle quelques secondes auparavant, et encore maintenant. Eden avala sa salive, et ne dit rien. Elle n'avait pas envie de lui parler. Pas encore. Après s'être promis qu'elle ne le laisserait jamais partir, elle se promettait à présent qu'elle ne s'attendrirait plus. Tout du moins, plus tout de suite.

« Je suis plus rien mais je fais du mal. À toi, à moi-même, à tout le monde. »

Elle resta là quelques secondes à le regarder sans rien dire, quelques larmes au coin des yeux, qui laissaient encore sur leur passage un liquide iodé. Un peu plus calme qu'avant elle se mordit la lèvre et inspira profondément afin de garder son calme, afin de ne pas laisser la colère s'emparer d'elle. En vain.

« Tu sais pas qui je suis ! T'as aucune idée de... de... de tout, tu sais rien, tu te permets de dire tout ça sans savoir ! Tout est beaucoup plus compliqué que tu ne peux sûrement le penser. Lève un peu le bout de ton nez, j'ai pas une vie rose moi ! J'suis pas en train d'essayer de me faire plaindre mais... t'as pas le droit de dire ça. Tu me connais pas, et vu la manière dont t'es parti, tu ne me connaîtras jamais. Tu peux pas te rendre compte à quel point ça me blesse... Quant au fait que tu sois inutile, c'est en te lamentant sur ton sort que tu vas l'être. C'est pas perdu d'avance. Arrête, s'il te plaît. Juste ça. Arrête Noah. Tu vaux mieux que des films romantiques et des cookies je pense. Maintenant... maintenant... fais ce que tu veux. J'ai plus rien à faire ici. »

Un discours un peu désordonné, un peu agressif, un peu impulsif. Un peu du Evans en fait. Elle se retourna, sans aucune hésitation. Emprunta le couloir qu'elle avait franchi quelques minutes plus tôt et posa sa main sur la poignée. Sortir. Oublier, et reprendre sa vie normale. Trois objectifs. Qu'elle n'atteindrait probablement pas.

Spoiler:

CAUSE WHEN ITS GOING GOOD
ITS GOING CRAZY

Des larmes. De la douleur. De la colère. De la peine. C'était peut-être la seule façon qu'ils avaient de communiquer. Venir écorché vif devant l'autre. Et ainsi lui dire qu'on n'en pouvait plus. De ça. De tout ça. Chaque mot était un coup de couteau. Un poignard enfoncé en plein coeur. Parce qu'il se sentait égoïste, en entendant les mots d'Eden, ces mots qu'elle articulait avec une sorte de verve splendide. Impulsion, maître mot. Et elle s'était retournée, et était partie en direction de la porte d'entrée. Noah était là, renfrogné. Et surtout au bord de la totale crise de nerfs.. Ce fut comme si il se réveillait. Il se leva d'un coup, l'air hagard, et se mit à marcher à grande vitesse pour rejoindre Eden. Mauvaise idée. Trois foulées et Noah se retrouvait appuyé au mur, tremblant, et plus capable de rien. Juste de se déchirer les poumons. Eden n'était pas loin, non. Quelques mètres. Et pourtant, l'impression qu'avait Edgerton, c'était qu'ils n'avaient jamais été aussi proches, et pourtant, ils ne savaient plus rien l'un de l'autre. Il leva le regard, vers elle, hésitante sur le pas de sa porte. De dos. Le peu de lumière qu'il y avait ici se reflétait pourtant sur sa chevelure brune. Noah n'avait pas articulé un mot. Il baissa les yeux alors qu'il se laissait glisser le long du mur jusqu'au sol. Il se mordit la lèvre inférieure, chercha dans sa tête le peu de bon sens qu'il aurait pu encore y avoir. N'en trouva pas.

« Mais enfin Noah, il faudra bien un jour que tu aies un peu de bon sens. » Noah baissa les yeux. Le regard dur de son père était implacable. Et il ne savait quoi répliquer. Il ne répliquait quasiment jamais. Il s'écrasait, se taisait, encaissait. Sois un homme. Il releva le nez et planta son regard bleu-vert dans les yeux perçants de son père. « Je suis un homme, papa. 22 ans, je fais des études pour devenir avocat et reprendre le cabinet. Tu m'as appris qu'un homme, ça ne pleurait pas, ça encaissait. Alors j'encaisse. »

Noah battit des paupières, visiblement perturbé de ce fragment de souvenir qui lui était revenu. Une des rares fois où il avait manqué d'être désobligeant avec son père. Il serra les dents. Il ne fallait mieux pas penser à lui, à ça. À avant. Il passa une main sur son visage. Et retourna le visage vers Eden. Ou plutôt vers la porte. C'était tout ce qu'il restait. La porte fermée. Elle avait réussi à sortir. Noah serra les dents, et reposa sa tête contre le mur. Les larmes lui venaient. La carapace s'était fêlée. Il faisait du mal à tout le monde. Une larme réussit à glisser hors de ses yeux fermés, couler sur sa peau, s'écraser sur le parquet. Une goutte, petit goutte. Tu m'as appris qu'un homme, ça ne pleurait pas, ça encaissait. Alors j'encaisse. Noah avait trop encaissé. Et puis, il ne prétendait pas être un exemple. Alors, laisser une goutte faire son chemin.. Il le fallait, parfois. Surtout quand tout le monde en souffrait. Sans exception.

FIN.

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Terminé et verrouillé