Saoirse & Payton

« Education. Ce qui révèle aux sages et dissimule aux sots leur manque de compréhension. »

Brouhaha incessant dans la salle de TD en cette heure matinale, alors qu'il arrivait sur place. Foulant le sol de ses chaussures impeccablement cirés. D'ordinaire à cette heure-ci – lors du cours de première année – les étudiants sont plutôt endormis. A croire qu'un plat à base de lion leur a été servi en guise de petit déjeuner. S'installant rapidement, Payton salua les étudiants. Pourvu qu'ils se calment au plus vite, ses nerfs étaient déjà bien assez en pelotes comme cela. La conversation téléphonique avec son ex-femme au sujet de la garde de leur fille l'ayant quelque peu énervé. Après avoir sorti ses affaires il commença presque aussitôt. Tant pis pour les retardataires, ils prendraient le train en marche. La ponctualité étant quelque chose de très important pour l'ancien analyste. Les cours qu'il dispense se déroulent la plupart du temps comme celui-ci, avec un groupe donné d'étudiants. Non pas pour les étudiants eux-mêmes, mais plutôt pour lui. La foule ayant tendance à le rendre plus que mal à l'aise.

« S'il y a eu des absents lors du cours précédent, vous trouverez tout ce qu'il faut en ligne, sinon vous pouvez toujours demander à vos généreux petits camarades. Bon reprenons le paradigme de Pavlov :
De la nourriture placée dans la gueule du chien entraîne une réaction salivaire. Cette réaction salivaire est une réaction inconditionnelle. Ceci veut dire que le chien ne peut pas s'empêcher de saliver. La salivation est inscrite dans la physiologie de son organisme. La salivation est à tout coup provoquée par la nourriture qui est donc le stimulus inconditionnel. Si l'on fait régulièrement précéder l'administration de nourriture par un son, au bout d'un certain nombre d'essais, ce son deviendra, à lui seul capable de provoquer la salivation. Le son, initialement neutre, c'est à dire n'ayant initialement aucun effet sur la réaction salivaire, devient capable de provoquer tout ou partie de cette réaction parce qu'il a été associé au stimulus inconditionnel "viande". Le son est devenu stimulus conditionnel et la réaction salivaire est devenue conditionnée. (il ne se substitue jamais au SI: le chien ne mange pas la cloche).
SCHEMA
SI-------->RI
SN+SI----->RI
SC-------->RC#RI »

fiche par century sex.

Son sac à moitié ouvert, menaçant de renverser au sol toutes ses affaires, un chewing-gum mâchée bruyamment, le téléphone entre l'épaule et la joue droite, Saoirse avançait en zig-zag bousculant au passage plusieurs passants. Sa conversation téléphonique ajoutée à la recherche au fond de son sac d'une pince à cheveux introuvable, la jeune femme avait vite fait disparaître le monde extérieur. Les gens s'éloignaient à son passage. Était-ce du à ses cheveux en pagaille qui lui donnait l'air d'une hystérique, à sa voix forte et pas forcément agréable pour s'adresser à son interlocuteur au bout du fil, à son look de bohémienne dépareillée du fait de ses chaussettes de différentes tailles et couleurs ou de la robe qui semblait avoir été recousu à de nombreuses reprises ou encore de son ventre proéminent de femme enceinte ? Peut être était-ce tout simplement à cause de sa démarche qui menaçait d'en bousculer plus d'un s'ils ne bougeaient pas en premier.

Elle parcourut la rue, toujours en grande conversation au téléphone et arriva enfin à l'université. Elle était en retard bien sur, c'était souvent le cas. Le ponctualité n'avait jamais représenté une priorité sauf lorsqu'il s'agissait d'affaires où un retard pour être considéré comme un piège ou l'annulation d'un marché ce qu'elle détestait par dessus tout. Elle avait beau vivre de manière totalement désorganisée, Saoirse était une rude femme d'affaires. On lui disait d'ailleurs rarement non, peut être aussi parce qu'elle avait prouvé que les armes, elle ne savait pas que les vendre. Elle poursuivait son chemin toujours dans les couloirs, prenant la direction de sa salle de cours. C'était la première fois qu'elle y assista pour être arrivée en cours d'année. Ce genre de détails lui importait peu. En général, elle rattrapait son retard par le biais des livres dont elle était particulièrement férue. Ajoutée à sa bonne mémoire, elle faisait généralement un carton parfois au désespoir de plusieurs enseignants qui pouvaient lui reprocher son comportement. Mais cela encore, elle n'en avait rien à faire. Elle suivait des cours surtout pour le plaisir et les remarques lui importaient tant qu'elle ne portait pas sur ses thèses. Un domaine qu'elle connaissait depuis sur le bout des doigts. Elle trouva enfin la salle de cours et actionna la poignée d'une main avant d'ouvrir la porte à coup de pieds, les bras toujours occupés par son sac.

Avec une démarche en biais et ses talons qui claquaient bruyamment sur le sol, Saoirse s’avança dans la salle de cours, toujours au téléphone. Le ton monta légèrement entre elle et son interlocuteur et elle poursuivit la discussion tout en traversant la salle de classe. Elle trouva une place libre et commença à vider son sac sur la table, avec grand fracas. Elle trouva enfin ce qu'elle cherchait et plaça la pince dans ses cheveux afin de libérer son visage. Elle prit enfin le téléphone d'une main mais continuait de parler d'un ton fort et particulièrement gênant pour une salle de cours où ce dernier avait déjà commencé. Son chewing-gum continuait de claquer dans sa bouche.


- ..... Ecoute, Tony, un deal c'est un deal, tu peux pas me lâcher, va pas me sortir que t'es un coward, je bosse pas avec les cowards, alors viens pas me pourrir la vie et tu viens ! .... Ouais, ouais, ouais ... La ferme, crétin. Tu viens et puis c'est tout ... Attends une seconde mon voisin de table me parle .... Quoi ? Ouais, minute, je finis .... Ouais c'est encore moi, toujours là. Bon me saoule et fais comme il faut ou c'est moi qui vais te pourrir la vie .... Ouais, ouais, ouais ....

Un pied sur la chaise, elle remonta un de ses bas tout en continuant de parler. L'attention qu'elle provoquait ne l'intéressait guère.

Un bruit, un seul bruit. Celui au combien énervant de la porte qui s'entre-ouvre, alors que le cours a déjà démarré depuis une bonne dizaine de minutes. Qui osait ainsi enfreindre impunément le règlement fixé par Payton en personne ? Interdiction de pénétrer dans la salle de TD, lorsque cette dernière est fermée. Trop tard et tant pis pour les retardataires. Nouveau bruit, d'autant plus insupportable que le premier. Celui des talons qui claquent sans douceur sur le sol. Son sang ne fît qu'un tour. Léger frisson lui parcourant l'échine alors qu'une voix – autre que la sienne – s'élevait dans les airs. N'avait-on jamais appris le respect à... à cette... femme. Faisant demi-tour d'un geste brusque, des flammes dansants dans ses pupilles, c'est avec un étonnement non feint qu'il pu constater de qui émanait ce vacarme à réveiller les morts. Une élève sortant tout droit de l'imaginaire dont ne sait trop qui, vu ses vêtements – elle lui fit penser à une caricature d'Esmeralda – enceinte jusqu'au cou. Son regard fit alors un zoom sur la bouche de cette dernière. Il croyait rêver, non seulement elle perturbait au possible son cours, mais en plus elle était pendue au téléphone et mâchait un chewing-gum. Rien que ça. Le moins que l'on puisse dire, c'est quelle les accumulaient. Manque de respect total envers les autres étudiants, mais surtout envers lui.

Le schéma du paradigme de Pavlov pourrait très bien attendre quelques minutes. D'un geste presque robotique, il descendit du perchoir sur lequel il se trouvait jusqu'alors. Prenant garde à ne surtout pas marcher sur les lignes délimitant chaque plaques de linoléum, il s'avança doucement jusqu'à la table de la perturbatrice. Satané TOC. Il vint se planter devant elle, en s'assurant toutefois de ne rien toucher, chose qu'il détestait par dessus tout, devoir poser ses mains sur un objet n'ayant pas été préalablement désinfecté avec soin. Pour signaler sa présence, il se racla la gorge. Ton poli s'appliquant à rester le plus calme possible – du moins pour le moment : « Mlle... Bonjour. Excusez-moi, mais au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, ce cours a déjà commencé. Auriez-vous l'amabilité de terminer votre conversation plus tard ? Celle-ci, au combien intéressante soit-elle, ne nous intéresse en rien. Sans prendre le temps d'écouter ce qu'elle pourrait lui dire, il enchaîna, toujours sur le même ton neutre mais sans appel.  D'ailleurs, je tiens à vous signaler que vous êtes en retard. Sachez que lorsque la porte de la salle est fermée, ce n'est pas la peine de rentrer, je n'accepte pas les retardataires. On va dire que ça passe pour cette fois-ci... Il se recula alors avant de demander, sans aucune expression sur le visage :  Que pouvez-vous nous dire sur le paradigme de Pavlov Mlle ? »

Une main se leva alors, non loin de là. Le lèche botte du cours. Payton le fusilla du regard avant de tourner de nouveau la tête en direction de cette étudiante au combien étrange, qu'il n'avait jusque là jamais eu l'occasion de rencontrer. D'où sortait-elle exactement avec une dégaine pareille ? Et puis quel âge pouvait-elle bien avoir ? Elle ne semblait pas être dans la moyenne d'âge de ses étudiants. Et puis ce ventre... quelle idée de venir en cours dans cet « état ». Quelque chose lui disait que la suite des événements risquait fortement de ressembler à un cataclysme. Peut-être le ton dur de la voix de son interlocutrice, alors qu'elle insultait copieusement la personne au bout du fil, qui lui fît dire ça.

Saoirse continuait sa conversation au téléphone, sans accorder grande attention aux alentours. Tony commençait vraiment à lui taper sur le système avec ses hésitations. En dépit de son caractère, de ses nombreux défauts, de son insolence, elle avait un code d'honneur. Vivre dans une secte qui prônait l'union pour la survie, elle avait appris à croire en l'honneur envers les gens plutôt qu'envers son pays. Elle ne supportait donc pas qu'on la lâche sur un deal. Une autre voix finit pourtant par s'élever dans la salle en plus de la sienne. Elle levait la tête dans la direction qu'elle lui indiqua et aperçut ce qui devait être son professeur. Pendant un instant, elle laissa Tony parler seul au bout du fil et leva un sourcil vers l'homme à côté d'elle. Ce dernier lui demandait de cesser sa conversation et bien vouloir arriver à l'heure à l'avenir. Sans un mot, elle continua de macher bruyamment son chewing-gum. Elle le fixa et s'apprêta à répliquer quand un mot attira son attention à leur bout du fil. Elle leva un doigt en direction de l'enseignant comme pour lui signaler de se taire et répondit à Tony.

- Quoi ? Espèce de fucking crétin ! T'as pas fait ça ! Tu te fous de ma gueule ma parole ?! Tu veux que je t'envoie la cavalerie ou quoi ? T'as intérêt à régler ça et vite ! Sinon tu vas comprendre ce qui se passe quand on me chercher. Non, je m'en tape de tes excuses, tu fais ton boulot et puis c'est tout ! Ouais, ouais, ouais, lâche-moi ! Je te rappelle plus tard, j'ai un cours - là. Ouais t'as bien suivi, t'es en train de pourrir un cours sombre crétin !

Ressentant une légère douleur au niveau de son ventre, probablement provoquée par sa colère, elle poussa d'une main, une partie de ses affaires étalées et s'assit sur la table. Elle souffla puis poursuivit.

- ]b]Bon écoute, je te rappelle ! Fais ce que tu as à faire, on finira cette conversation plus tard ! [/b]

Sans un mot de plus, elle referma le clapet de son téléphone qu'elle balança sur la table. Une main posée sur son ventre, elle écouta la question que son professeur venait de lui poser.

- Ah c'est vous qui faites ce cours ! C'est cool ! Je croyais l'avoir manqué !

Elle se redressa sur sa table, une main toujours sur son ventre et prit un air plus sérieux. Elle leva les yeux au ciel puis souriant, s'enquit de lui répondre :

- Le paradigme de Pavlov est une procédure d'apprentissage au centre des théories béhavioristes. Cela se rapporte à la théorie du conditionnement. Ivan Pavlov l'a expérimenté avec un chien. Il a décrit le conditionnement comme une technique permettant à un stimulus neutre, d'induire une réponse réflexe qu'il n'induit pas naturellement. Dans l'expérience initiale, il a donné un plat de nourriture à un chien qui, par réflexe, a eu une réponse végétative mesurable : la salivation. Pour Pavlov, la nourriture est un « stimulus inconditionné » (SI) et la salivation une « réponse inconditionnée » (RI). Par ailleurs, un stimulus neutre (un battement de métronome) est présenté au chien (ce qui évidemment ne le fait pas saliver) : cette stimulation sonore est appelée stimulus conditionné (SC). Après avoir associé à plusieurs reprises la présentation de la nourriture (SI) et le battement de métronome (SC), ce seul son provoque ensuite une réponse comparable à la réponse inconditionnée, c'est-à-dire la salivation. Cette dernière devient alors une « réponse conditionnée » (RC). Ainsi, quand un stimulus conditionné acquiert la capacité de susciter une réponse initialement provoquée, par réflexe, par un stimulus inconditionné, un conditionnement dit « pavlovien », « classique » ou « primaire » a eu lieu. Dès lors, les psychologues ont tenté de connaître dans quelle mesure ce modèle animal pouvait s'appliquer à l'homme en situation sociale. On note notamment des travaux en lien avec l'influence de la publicité sur les hommes. J'ai oublié quelque chose ?

Avec un regard amusé, Saoirse attendit la réaction de son professeur, tout en continuant bien sur à mâcher son chewing-gum de façon bruyante. Elle avait l'habitude que ses enseignants la prennent pour une idiote ou une ignorante d'autant plus quand ils découvraient qu'elle n'avait aucun diplôme.

Visiblement cette jeune femme n'en avait que faire de déranger ou non la tranquillité du cours. Le respect le plus élémentaire ne devrait certainement pas être son fort. Ne lui avait-on jamais appris qu'on ne débarque pas au beau milieu d'un cours déjà commencé, tout en parlant à tue-tête et en mâchant un chewing-gum ? Pour qui se prenait-elle au juste ? Jamais encore Payton n'avait été confronté à ce type d'étudiant. En temps normal, ils n'osaient trop moufeter, de peur de remontrances. Cette étudiante là semblait être d'un tout autre type. Tout droit débarquée de la planète Cyborg ou d'une planète totalement loufoque. Payton la laissa déblatérer ses odieuses paroles pendant quelques instants encore. Il devait vraiment être dans un bon jour pour laisser ainsi le temps à cette étudiante de terminer sa conversation téléphonique. Du moins c'était avant qu'elle lui signale d'un mouvement de la main qu'il devait attendre et qu'elle ne décide en prime de s'asseoir sur sa table. Les yeux grands ouverts, Payton eût presque envie de se pincer pour voir s'il n'était pas en train de rêver, ou de cauchemarder plutôt. Jamais encore il n'avait vu un élève se comporter de cette façon. De plus en plus impatient, l'ancien profiler commença à taper du pied par terre. Quel culot, il n'en revenait pas. Le bruit significatif du téléphone qui se referme le fit légèrement tressaillir. Mauvais souvenir que lui rappelait généralement des bruits soudains tels que celui-ci. Un instant durant, il perdit le fil de la « conversation » alors que la demoiselle face à lui commençait à déblatérer concernant le paradigme de ce cher Pavlov. Absence l'empêchant de se concentrer, survenant à n'importe quel moment. Merci monsieur le terroriste. Un petit cadeau de cette tentative de meurtre contre sa personne, alors qu'il travaillait encore pour le F.B.I. Une seconde plus tard et il aurait évité le pire. Sa vie s'était jouée à une seconde, foutu coup du sort, comme s'il n'avait pas déjà assez souffert jusque là. Son interlocutrice s'agitait toujours devant lui, il voyait clairement ses lèvres remuées, mais plus aucun son ne parvenait jusqu'à ses oreilles. Tant bien que mal, il essaya de ne rien montrer ; faire comme s'il arrivait à suivre le long monologue de cette drôle d'étudiante. Un sifflement, puis le son revint enfin. Le professeur pût alors raccrocher ses wagons à ceux de la conversation. Le stimulus conditionné, il hocha la tête en signe d'acquiescement. L'habit ne fait pas le moine, sous son accoutrement bizarre se cachait une certaine matière grise, malgré tout cela n'excusait en rien sa façon de se comporter. Il venait de rêver où bien elle se payait sa tête ? Apparemment non, cela semblait l'amuser.

« Vous n'avez rien oublié concernant Pavlov, mais pour ce qui est du respect et de la politesse là vous semblez avoir beaucoup à apprendre. Je vous demanderais de bien vouloir retrouver votre place, je ne sais pas comment cela se passe chez vous, mais ici on ne s’assied pas sur les tables et ne me dites pas que votre ventre vous gêne, auquel cas je vous demanderai de bien vouloir regagner votre domicile. Soudainement, il fit volte face, alla chercher la corbeille à papier et la tendit à Saoirse. Votre chewing-gum s'il vous plaît, nous ne sommes pas au cirque ici, il se tourna vers un autre étudiant. D'ailleurs, c'est valable pour toi aussi Gary, le fait de ruminer ne te donnes pas l'air plus intelligent, bien au contraire. Il reporta son attention sur la perturbatrice du cours. C'est bon vous avez terminé avec votre ami ? Nous pouvons reprendre ? »

Spoiler:

Saoirse affichait un grand sourire. Ce pauvre professeur n'avait encore rien vu. Se payer sa tête ? Mais non voyons ! C'était là son état normal et c'était sans doute le pire. Elle fut heureuse d'apprendre qu'elle n'avait rien oublié. Il n'aurait plus manqué que ça ! Elle ne retint pas le fait qu'il critiquait son comportement. D'une certaine manière c'était justifié. Avec de grands gestes théâtraux, elle s’exécuta quand il lui demanda de s'asseoir à sa place. Le sourire toujours pendu aux lèvres, elle l'observait d'un air amusé. Elle soupira de façon également marqué quand il lui tendit la poubelle pour son chewing-gum, alors elle continua son ménage. Elle avait envie de jouer avec ses nerfs un peu. C'était sa petite vengeance contre le système. Par malchance, ça venait de tomber sur lui ! Appuyée sur un bras, elle continuait de l'observer avec attention. Elle fit un grand sourire quand il se retourna vers elle.

- C'est à lui qu'il faudrait de demander mais à première vue, oui. Mais je vous prie, professeur.

Elle avait bien insisté sur le dernier mot avant de baisser le regard. Elle porta plutôt son intérêt sur le contenu de son sac étalé devant elle. Toujours avec bruit, elle rangea ses affaires, une à une, prenant son temps. Elle sourit moqueuse à son voisin qui la regardait bizarrement et quand elle eut enfin fini, sortit de quoi écrire. Un regard impatient suivit à l'égard de son professeur qui allait sans doute finir par la foutre dehors. Ca ne serait que justice mais elle ne dit rien. Au contraire, elle commença même à noter le cours au tableau avec le plus grand sérieux. On aurait pu croire à un répit. Celui-ci dura en effet quelques minutes encore. Mais c'était mal la connaître. Son portable vibra à nouveau dans son sac et elle le saisit aussitôt. Tiens, Tony ! Déjà ?! Elle soupira puis sans tenir compte de son enseignant, prit l'appel. Au début, elle ne dit rien. Laissant son interlocuteur déblatérait ses excuses et son plan. Seul le murmure de sa voix semblait gêner l'ensemble du cours, puis elle répondit.

- Ouais, si tu veux. Tant que ça tient la route, moi je dis pas non. Et l'autre empaffé va venir ? Oh prends pas cet air offusqué, je parle comme je veux. Bon tu as fini. Tu me gènes là ! On se voit le moment venu. C'est ça !

Elle raccrocha et lâcha un tonitruant désolé à son charmant professeur.

- Mais dites-moi, vous vous seriez pas gourer sur ce point ?

Elle pointait le tableau avec de grands gestes, comme une bête de foire.

Encore et encore, cette élève se payait sa tête. Elle avait même l'air de s'en amuser, à en juger par son expression de contentement. Expression qui ne passa pas inaperçue aux yeux avisés de l'ancien analyste. Jamais au grand jamais aucun étudiant ne lui avait tenu tête de la sorte. Personne n'osait moufeter en temps normal. Tant pis pour cette jeune femme, elle allait apprendre à ses dépends que ce cours n'était pas la foire à neu-neu. Pour le moment, elle semblait être revenue à la raison et ne tenta pas de faire un excès de zèle. La trêve hivernale ne dura pourtant que quelques instants, assez vite elle continua de faire un boucan de tous les diables. Payton n'était pas sûr de pouvoir supporter cela encore longtemps. Une poussée d'urticaire géante et subite manqua de lui apparaître sur le corps entier lorsque Saoirse s'empara à nouveau de son téléphone portable. Cette fois-ci trop, c'était trop. Au moment où cette dernière reprenait sa conversation - sans se soucier le moins du monde de déranger le cours ou non – l'ancien profiler se dirigea vers l'estrade, s'empara de la brosse traînant sur le bureau et commença à essuyer d'un geste des plus rageurs le tableau blanc. Il ne restait plus que des vestiges de la formule apparaissant peu de temps auparavant, lorsque la voix aussi énervante que tonitruante s'éleva à nouveau dans les airs. D'un geste brusque, le blond fit volte face, il fusilla du regard l'investigatrice de toute cette foire. Les étudiants du premiers rang sursautèrent, l'angoisse pouvait clairement se lire sur leurs visages apeurés. Au moins, ceux-là ne se risqueraient pas à emprunter les mêmes chemins scabreux que leur petite camarade. La brosse toujours en main, ses phalanges blanchirent exagérément, tandis qu'il la serrait plus que de raison sous le coup de la colère. Il était presque sûr de ne pas s'être trompé dans la formule de Pavlov, qu'il connaissait sur le bout des doigts. Néanmoins, il vérifia tout de même ce qui était encore noté au tableau. Après une vérification rapide, il fit de nouveau face à l'assemblée, et demanda d'un ton tout à fait neutre – du moins autant que la situation et son état d'énervement le lui permirent. « Je ne me suis pas trompé, qu'est-ce qui vous fait dire ça ? Vous voulez peut-être dispenser le cours à ma place ? Je vous invite à rejoindre l'estrade Mademoiselle, afin que vous puissiez nous expliquer votre théorie personnelle sur notre ami Pavlov, qui doit se retourner dans sa tombe ! »

Il descendit de son perchoir, et attendit que la jeune femme daigne se lever. Elle n'allait pas s'en sortir à si bon compte. C'était à ses risques et périls de toute façon, soit elle venait faire une démonstration pour prouver au groupe entier que Pavlov s'était trompé quelque part, soit elle se prenait la brosse en pleine tête. Le moins que l'on puisse dire, c'est que les nerfs de Payton étaient mis à rude épreuve. Comment avait-il réussi à conserver son calme jusqu'à présent ? Il n'en savait trop rien. D'autres étudiants avaient prix cher pour beaucoup moins que ça. A croire qu'il devait vraiment être dans un bon jour, Saoirse pouvait sûrement s'estimer heureuse. Cela ne durerait peut-être pas. Même si elle perturbait le cours comme ce n'était pas permis, le professeur en vint à se dire qu'elle avait un certain cran. Cran inutile en pareille circonstance, mais tout de même. Payton était curieux de voir ce que cet étrange énergumène allait bien pouvoir leur sortir, il l'attendait au détour.

Dire que Saoirse s'amusait était un euphémisme. A la vérité, elle jubilait. Pourquoi ? Elle aurait incapable de le dire. Rendre ses professeurs fous n'était pas dans ses habitudes. Elle avait même tendance à être une élève appliquée. Mais pour avoir été élevée dans un milieu où les conventions sociales n'avaient plus lieu d'être avait tendance à la ramener à la Saoirse d'avant. La fugitive qui plutôt que de faire comme tout le monde avait décidé à dix-huit ans de faire du trafic d'armes. Le mot "normal" n'appartenait plus depuis bien longtemps à son vocabulaire. Ce temps-là était loin, très loin. Le temps où elle aurait pu vivre comme toutes les enfants de son âge. Cette différence, c'était son armure. Ce jour-là, elle avait décidé de la démontrer en transformant une salle de classe en théâtre relativement peu comique où l'on se demandait quand le professeur finirait par tomber raide mort au sol.
La nouvelle conversation de Saoirse au téléphone fut relativement courte mais l'enseignant avait trouvé moyen entre-temps d'effacer une bonne partie du tableau. Loin d'être offusquée, elle se contenta de l'interpeller d'une voix qui visiblement lui avait déplu. Il la fusilla du regard mais elle n'en fut pas effrayé le moins du monde. Il l'invita même à dispenser le cours à sa place. Saoirse accueillit la proposition avec un grand sourire. Elle savait qu'il tentait là de la défier, de la ridiculiser si jamais elle refusait ou ne s'en montrait pas digne. Il semblait attendre qu'elle se lève. Il n'allait pas être déçu.

Saoirse se leva en effet de son siége pour aller faire face à l'enseignant. Pendant les quelques secondes que dura le face à face, elle se demanda s'il résisterait à l'envie de la frapper. Elle espéra que son ventre déjà proéminent tendrait à le retenir mais auquel cas, elle savait se défendre. Même très bien. Elle devait toutefois se montrer prudente. Il apparut clairement qu'à la fin de ce cours, elle n'aurait plus jamais le droit d'y mettre les pieds. Pour autant, la jeune femme espérait pouvoir continuer à venir à l'université. L'ennui autrement serait alors macabre.

- Sous votre respect, professeur Oak, n'avez-vous pas peur que je vous ridiculise s'il s'avérait que ma présentation de cette théorie serait meilleure que la vôtre ?

Elle lui offrit un franc sourire, qui finira à coup sur par lui valoir un coup sur le crane ou ailleurs.

- Mais si vous y tenez !

Elle s’avança vers l'estrade et se retrouva face au tableau. Elle s'était amusée jusque là mais son expression redevint soudain sérieuse. Elle ne ferait pas d'erreur, elle le savait. Avec le revers de sa manche, elle effaça ce qu'il restait au tableau et commença à noter. L'idée était peu conventionnelle, sans doute peu appréciée par le corps enseignant mais néanmoins juste. Il ne restait plus sur son visage que de la concentration et lorsqu'elle eut fini, son sourire ne fut pas pour autant de retour quand elle fit à nouveau face au professeur. Sa voix n'avait d'ailleurs plus rien de mielleux. Le changement était presque radical.

- Alors, qu'en pensez-vous ?

Insupportable créature que cette étudiante qui s'amusait à le faire tourner en bourrique, mais surtout à le tourner en ridicule devant tous les élèves présents ce jour-là dans la salle de cours. Il fallait que cela cesse et le plus vite possible, avant que tout le monde ne s'y mette à son tour. Tolérer un tel comportement était la porte ouverte à toutes les fenêtres. L'ancien analyste ne permettrait pas que de tels comportements soient possible dans son cours. Ici, il était maître tout puissant, il dictait et les étudiants devaient s'écraser, parce que de toute façon il n'avait aucune considération pour les dégénérés qu'ils étaient. Jugés indignes autant qu'ils pouvaient l'être de prendre part à ce cours, Payton s'évertuait à leur faire payer leur manque d’intérêt pour sa discipline à grand renfort d'insultes déguisées et de sarcasme toujours plus présent au fur et à mesure des cours. Jusqu'à présent, le natif du Montana avait réussit tant bien que mal à conserver son calme – ce qui, lorsqu'on le connaissait bien relevait plutôt du miracle – mais là s'en était trop. Cette petite gourde se permettait de remettre en question son savoir faire, pour qui se prenait-elle au juste ? De quel droit osait-elle reconnaître ouvertement que son analyse de cette théorie pouvait être meilleure que la sienne ? Avait-elle étudiée avec le Docteur Ekman pour avancer de telles idioties ? Certainement pas. Ce n'était pas le zoo ici, si elle voulait montrer à quel point elle pouvait se comporter comme ses congénères les primates, grand bien lui fasse, mais ce ne serait pas ici. Pris d'un élan de colère, le blond serra la poing, crispa la mâchoire et dû faire un effort presque inhumain pour ne pas se saisir de la corbeille à papier et de la lui fracasser sur le crâne. « Je n'ai pas peur du ridicule, croyez-moi... si tel était le cas, je vous aurais mis à la porte trente secondes après que vous soyez entrée dans cette salle de cours, parce que vous me faites pitié avec votre comportement digne d'un primate ! Nous tenons tout de même à vous remercier pour ce fabuleux spectacle que vous nous offrez depuis votre entrée ! Ce n'est pas donné à tout le monde de nous distraire et encore moins de m'amuser ! » Ne pas pouvoir attaquer avec des gestes, se contenter d'un lancé acide à l'aide de mots, espérer en silence que cela soit suffisant pour anéantir et réduire en un petit tas immonde et gélatineux son interlocutrice.

S'il y tenait, à la voir s'avancer jusqu'à l'estrade, monter sur cette dernière et exposer sa belle théorie ? C'était plutôt un doux euphémisme. Payton avait hâte de voir, ou plutôt d'entendre, son exposé sur la situation. Qu'allait-elle bien pouvoir pondre ? Pour lui, il n'y avait pas trente six façons d'entreprendre cette théorie sur le comportement. La curiosité malsaine - dont il faisait à présent preuve – piquée au vif, il s'installa sur une chaise libre, au premier rang, car il ne voulait rater aucune miette de ce qui s'annonçait comme étant le sketch humoristique de l'année. Peut-être devrait-il songer à sortir son téléphone portable, pour immortaliser cet instant. Rompant court à ses élucubrations, il écouta avec la plus grande attention les points que l'étudiante enceinte avança, tout en se balançant légèrement sur sa chaise et jouant avec le stylo qu'il tenait entre les mains. Finalement, cela s'avéra bien moins drôle que ce à quoi il s'attendait. A la fin de la démonstration de cette dernière, il ne put s'empêcher d'applaudir, un sourire narquois sur le visage avant de dire d'un ton tout à fait cynique :« Vous avez oublié un point important, bien que votre théorie soit tout à fait recevable... il ne faut pas omettre que cette notion de réaction non volontaire est le principal point qui la différencie du conditionnement opérant. Bref, c'était fort sympathique de votre part de vous donner ainsi en spectacle, maintenant que vous nous avez exposé votre point de vue sur la question, je vous demanderais de bien vouloir retrouver votre place... et sachez que vous ne serez pas payée pour cette prestation ! Je vous invite aussi à rester après le cours... qui touche d'ailleurs à sa fin, pour une petite explication entre quatre yeux ! » Si elle pensait s'en sortir à si bon compte, elle se mettait le doigt dans l'oeil.

THE END