We should take a look at what
we've become.

Traîner dans les rayons, comme tout autre homme l'aurait fait. Prendre un produit, le reposer. S'arrêter un instant. S'offusquer en silence devant cette débauche de produits. Essuyer les regards des autres. Encore. Ne pas pouvoir atteindre un des produits qui avant était clairement à sa portée. Par orgueil, par pudeur, par peur de déranger, ne rien demander. Un coup de main et l'affaire aurait été réglée. Cela aurait été si simple. Mais non. Les gens passaient à côté, n'osaient pas regarder la vérité en face. Trop pressés dans leurs vies dénuées de sens, de goût. Downy réussit enfin à agripper la boîte de café soluble, du bout des doigts. Mettre cinq minutes à attraper une simple chose car il lui manquait deux pauvres centimètres pour qu'il puisse s'en saisir. Serrer les dents, pousser un soupir, et poser la boîte dans le panier lui-même posé sur ses genoux. Reprendre le fil de ses achats. En gardant ce goût amer dans la bouche. Qu'est-ce qu'il aurait cru ? Qu'on viendrait naturellement l'aider ? Même pas en rêve. Monde de merde. Poussant ses roues qui chuintaient discrètement sur le sol carrelé, Clarkson ruminait. Cela lui arrivait si souvent, de ruminer en silence ces petites choses qui lui arrivaient. Au moins, un espoir un peu fou vivait-il encore en lui. La rééducation. D'ici moins d'une semaine, il reprendrait les armes et irait se battre, contre lui-même pour changer. Le dernier combat qu'il avait réellement mené contre sa propre personne avait été sa désintoxication. Dernière grande bataille menée. Mais le combat, de toutes les manières, restait constant. Affaire de tous les jours. Guerilla intérieure. Toujours la même musique lancinante, celle de son coeur qui cognait toujours aussi fort au rythme de la marche militaire.

Traîner dans les rayons, comme tout autre homme l'aurait fait. En sachant parfaitement qu'il n'était pas comme tous les hommes. Qu'il ne le faisait pas comme tous les hommes. L'amer habitude d'être classé comme marginal. Avant, on l'aurait regardé parce qu'il avait encore fait tomber une pile de conserves. Anonyme. Un homme parmi les autres. Rien pour exprimer son histoire de façon physique. Il n'y avait alors pas encore le pois des regards. Deux roues collées au train et sa photo dans les papiers de Detroit. Il en était arrivé là. Une interview qui, après coup, l'avait encore un peu plus mis dans tous ses états. Mais les choses n'avaient pas eu l'air de tellement bouger. Il avait encore cru à la paranoïa; paranoïa qui l'avait pourtant mené, accompagnée de doutes et de confusion, à frapper à la porte d'Ysmael. Perdu dans ses pensées, il poussait son seul et unique moyen de rester encore humain, même si cela sonnait assez ironique. Il avançait la tête dans les nuages, jusqu'à surprendre un dernier regard, un de trop. Et les mots sortirent tous seuls. "Quoi ?! Vous avez jamais vu un paraplégique de votre vie ?" Invective qu'il regretta dès qu'elle fût sortie de sa bouche, ce qu'il signifia dans un marmonnement. "Excusez-moi." Toujours à s'excuser. Jusqu'à ce que, fuyant la scène de son crime verbal, il ne relève le nez, et ne croise un nouveau regard. Qu'il connaissait. N'avait plus croisé depuis des années. ".. Lucy ?" C'était il y a si longtemps, c'était si proche. C'était dans une autre vie, encore une fois. Un autre Downy, même si il lui ressemblait déjà. Un Downy qui avait deux jambes valides. Elle avait été sa compagne d'un soir, d'une nuit.